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Contributeurs
SIÈCLE DES LUMIÈRES
Histoire Littéraire du XVIII°
siècle
(Cours de Philippe Koeppel, octobre
1996-janvier 1997)
LET 103b
BIBLIOGRAPHIE :
— La Littérature française du
XVIII° siècle, de Sylvain Menant
et Michel Delon (PUF).
— La Philosophie des Lumières,
de Cassirer.
— Les Lettres persanes (Montesquieu).
— Le Dictionnaire philosophique
(Voltaire).
— Les six premiers livres des Confessions
(Rousseau) .
— Les Rêveries du promeneur
solitaire (Rousseau).
— Le Neveu de Rameau et Jacques le fataliste (Diderot).
INTRODUCTION
Le terme de « Lumières » fut employé
dès le XVIII° siècle. Les Lumières commencent en fait à la fin du XVII° siècle,
avec Fontenelle et Bayle, dont on dit qu’ils sont les
pères fondateurs du XVII° siècle ; elles s’achèvent avant la révolution,
avec Sade et les Anti-Lumières.
Quatre grands noms ont marqué ce siècle : Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Diderot (voir plus loin dans le cours
les chapitres qui leur sont consacrés).
On appelle le XVIII° siècle le « siècle des
Lumières », car après la mort de Louis XIV, en 1715, il y a une explosion
en France d’une croyance dans le progrès, qui sera le fruit des lumières de la
raison : le progrès de l’humanité guidée par les Philosophes.
Les pères fondateurs datent du XVII° siècle. Avec
Bayle (1647-1706) et Fontenelle (1657-1757) apparaît l’esprit d’examen
(c’est-à-dire l’esprit critique) ; c’est un changement radical avec la
période précédente (la période classique).
Le classicisme (Racine, Molière, etc.) imposait
une littérature extrêmement codifiée, avec des règles strictes auxquelles on
devait se conformer, et l’imitation des anciens. On applique ce que l’on croit être
les traditions antiques, grecques et latines (comme par exemple la règle des
trois unités, qui n’existait pas chez Aristote !). Cette notion de règle
va éclater, mais pas de la même façon chez tous les auteurs [NB: pour Voltaire, qui a un peu vécu sur les
deux époques, seules comptaient les tragédies « dans le goût classique »].
On remet en question les canons de la
littérature, et ceux de toutes les activités humaines. Tout doit passer au
filtre, rien ne doit échapper à l’esprit d’examen du philosophe. Même les
textes sacrés, comme toute production humaine, doivent être critiqués et
discutés. [NB: On a le cliché du Philosophe du XVIII° siècle comme un
personnage athée. C’est faux ! 90 % de la France est paysanne, et la
campagne est pieuse ; l’athéisme est un phénomène citadin, voire Parisien.
Même Voltaire a besoin de la religion pour faire tourner ses
« fabriques »]. On arrive donc à une littérature d’idées. On n’arrive
pas à concevoir une société sans morale ; pour que cette morale existe, on
a besoin de la religion.
La grande question du XVIII° siècle est :
comment fabriquer un citoyen vertueux ? (Diderot : comment avoir une société d’athées vertueuse,
morale. Voltaire : lutte contre
l’intolérance, l’infâme, la religion catholique).
C’est avec Bayle
que l’on peut faire commencer les Lumières. Français, d’une famille protestante
réfugiée en Hollande après avoir quitté la France suite à l’Édit de Nantes, il
est profondément croyant. Il va être le premier à critiquer les textes sacrés.
Il va publier son Dictionnaire historique
et critique (1695-1697), dans lequel il passe les écrits en revue ;
très croyant, il critique les textes sacrés pour les renforcer, pour voir ce
qui est irréfutable en les « nettoyant », sans vision négative. Il va
changer les états d’esprit, la conception que se font les hommes de l’Histoire.
Avant les Lumières (avec Bossuet),
l’interprétation de l’Histoire était simple : elle est dominée par la
Providence Divine. Le roi est de droit divin, et les français ne sont que des
sujets soumis à la volonté divine (on a une conception théologique).
On a ensuite une laïcisation de l’Histoire, qui
commence avec Bayle et qui se poursuit avec Fontenelle et Voltaire. Les hommes
vont prendre leur histoire en main. Le XVIII° siècle est donc un siècle
éminemment politique, la politique est au centre de la réflexion des écrivains
du siècle, tout comme la recherche du bonheur. Saint-Juste : « Le
bonheur est une idée neuve en
Europe ». On a le concept de bonheur constant. On recherche une
société dans laquelle l’homme soit le moins malheureux possible.
Fontenelle est un magnifique vulgarisateur, il
est le « sourire de la raison ».
Voltaire devient le premier historien moderne (il
enquête sur le terrain, à la mort de Louis XIV, il interroge, il utilise
l’expérience et l’esprit d’examen).
I - LA CONCEPTION DU PHILOSOPHE AU XVIII° SIÈCLE
Que veut dire être Philosophe, en France, au
XVIII° siècle ? Ce n’est pas être philosophe au sens classique ; au
contraire, le Philosophe du XVIII° siècle refuse le concept de philosophe
classique (surtout Voltaire). Ce n’est pas un homme qui conçoit un système
d’explication original mais spéculatif ; on refuse la métaphysique (ce qui
est à côté de la physique, éloigné du concret, de l’expérience). Ces constructions
de l’esprit sont condamnables ; les Philosophes sont persuadés qu’on ne
peut raisonner que ce sur qu’on connaît, sur l’expérience. Si l’expérience
n’est pas là, le Philosophe est un rêveur, chimérique, et qui ne peut donc
assurer le bonheur de ses contemporains. Le rôle du Philosophe est donc
d’assurer le bonheur de ses concitoyens, le Philosophe est celui qui va être
utile à ses contemporains. Pour ce faire, il doit se baser sur des faits
concrets. Ex : Saudaile, Le Philosophe sans le savoir (qui est
une mauvaise pièce, par ailleurs) : c’est l’histoire d’un brave
commerçant, qui par son activité économique est utile à ses concitoyens.
Le Philosophe ne peut leur être utile que s’il travaille
sur du concret. Le problème, c’est comment concevoir une société dans laquelle
l’homme sera le plus heureux possible (ou tout du moins, le moins malheureux
possible). Le XVIII° siècle est également le siècle de l’utopie ; on y
invente de nouveaux types de rapports et de nouveaux types de sociétés.
Le philosophe anglais John Locke a eu une influence très importante. C’est le chef de
file de l’empirisme anglais. En France, le sensualisme prendra sa source dans
ce courant, chez Locke (c’est l’intime conviction que toute connaissance passe
par l’expérience, par les sens). Le problème, c’est que nos sens n’ont pas
accès à Dieu ; on a donc la tentation de dire que Dieu n’existe pas. Mais
nos sens nous indiquent aussi qu’il y a un ordre dans l’univers, ordre qui ne
peut être que de nature extra-humaine, qui ne peut être que l’ouvre de Dieu.
Les Lumières de la raison doivent pénétrer le
plus grand nombre. Pourtant, en 1760, les hommes éclairés sont peu nombreux,
même si Voltaire espère une diffusion, une « révolution » de l’esprit
rapide (il saura en 1769 qu’il a eu tort).
II - L’IDÉE DE NATURE
Les Philosophes du XVIII° siècle utilisent les notions
de bonheur (progrès) et de nature.
Le concept de nature ne renvoie pas aux arbres,
aux oiseaux, etc. Il renvoie à la notion d’univers, et d’univers ordonné (cf. Newton). C’est la nature au sens de
spectacle de la vie. Voltaire : « Quand je vois l’ouvre, je vois
l’ouvrier » (Voltaire a horreur de la « petite » nature, c’est
un parisien). On a l’idée que la Terre est au centre de l’univers (cette idée
va évoluer entre le début et la fin du siècle, où l’on va relativiser un peu).
On a l’idée qu’il y a derrière cet ordre de l’univers un créateur, qui n’est
pas forcément celui de la Genèse, mais qui est une intelligence supérieure,
créatrice, qui a mis tout cela en ordre. C’est le déisme des Lumières,
c’est-à-dire le rejet des principales religions révélées, tout en conservant la
croyance en un être supérieur. Rousseau parle de « ce grand être incompréhensible ».
Ce mouvement déiste vient d’Angleterre, et il sera plus tard condamné car le déisme
ouvre la voie à l’athéisme, dont il est une étape.
C’est le Dieu de Newton, un être supérieur qui organise cet univers.
Cette idée est reprise et développée par Voltaire, qui parle bien anglais et
qui va vulgariser la théorie de Newton en la publiant en vers [NB. Il écrit ces
vers lors de son exil à Cirey, en Champagne, près de la Lorraine, alors non
française — en cas « d’affaire », il peut traverser la frontière
rapidement. Il y vit avec Émilie du Châtelet, qui est notamment une « tête »
scientifique, et qui s’intéresse aux mathématiques et dispose de son propre
atelier de chimie].
Les conséquences de ceci sont
incalculables ; tout ce que disent les écrits sacrés peut être remis en
question. S’il existe réellement cet « ouvrier », alors les religions
dogmatiques (judaïsme, christianisme) sont remises en cause. Voltaire (à
l’époque, il était le meilleur connaisseur de la Bible) : « Ce sont
des fables ». Il y a une critique des dogmes, et notamment celui de la
Révélation — centre de toutes les critiques — car si le Dieu révélé à Moïse sur
le mont Sinaï est le seul vrai Dieu, cela signifie que les autres sont faux
(c’est l’origine des Guerres de Religion). Cela signifie que tous les pays
autres que la France, l’Espagne et l’Italie sont condamnés ; or, le Créateur
d’un tel ordre ne peut être aussi barbare, et donc le dogme de la Révélation
tombe par terre.
Les dogmes sont donc des ferments d’intolérance,
car la religion révélée n’accepte pas les autres ! Le problème est
identique pour le salut éternel. On n’est sauvé que si l’on accorde foi aux
autres dogmes de la vraie religion (et notamment au dogme de la révélation).
S’il n’y a qu’une seule vraie religion, l’Asie, le nouveau monde et l’Afrique
(mal connue) sont condamnés (de plus, en Europe, le nord est protestant, et
l’est et orthodoxe). Seuls la France, l’Espagne et l’Italie peuvent bénéficier
du salut éternel. La religion catholique romaine est donc une religion
barbare ! Il est impossible qu’une intelligence supérieure aie condamné la
quasi totalité de l’humanité ! Ce dogme est donc non valide ; c’est
le combat de Voltaire (et de tout son siècle).
Les déistes proclament que toutes les religions
se valent. La religion naturelle est le déisme pur; il repose sur l’ordre de
l’univers, qui se passe du clergé (d’où l’anticléricalisme des Lumières.
Voltaire : « Les prêtres ne sont que des fripons qui ne peuvent se
regarder sans rire »). Les différentes religions sont toutes équivalentes.
Ce sont des formes différentes pour adorer, sous des noms différents, un même Dieu.
Voltaire : « Tous les hommes sont les enfants du même père ». Ce
qu’il faut donc combattre, c’est l’intolérance (même le déisme pénètre le
clergé !). Il faut saper les dogmes (et notamment celui de la Révélation).
III - LE RAPPORT NATURE / MORALE
Buffon et la révolution effectuée
dans l’histoire naturelle.
Avant Buffon, il n’y avait qu’un simple
inventaire des espèces qui restent fixes (il n’y a pas d’évolution). Le monde
est régi par la Providence divine ; l’échelle des êtres (avec l’homme au
sommet) est rigide ; il n’y a pas de changement, l’ordre est immuable
depuis la Genèse jusqu’à la fin des temps.
Avec Buffon vient l’idée d’évolution de
l’humanité. L’évolutionnisme va remettre en cause ce qui est écrit dans la
Bible (Genèse). Cette idée d’évolution, on la trouve dans la nature. L’homme
évolue, mais les sociétés aussi : elles naissent, elles grandissent et
elles meurent. Le problème politique posé est : comment faire pour qu’une
société ne meure pas ? (cf. Montesquieu,
Grandeur et décadence de l’Empire romain).
Au XVII° siècle, ce problème ne se posait pas. On remet alors en question le
dogme de la Providence divine. Mais beaucoup d’auteurs, toutefois, ne peuvent
se passer de ce dogme. Si la Providence divine est remise en question, cela
signifie que ce sont les hommes qui font leur histoire. La crainte des Philosophes
est que la morale disparaisse totalement des sociétés humaines [NB. Voltaire ne
croit pas à l’immortalité de l’âme, mais « ce serait une belle
chose ». Or, si l’âme n’est pas immortelle, l’épée de Damoclès qu’est le
châtiment après la mort disparaît. Et la morale avec, puisqu’elle n’est plus
nécessaire à la bonne conduite sur Terre. S’il n’y a plus de morale, la société
s’écroule ; Voltaire est donc obligé de « croire » à l’immortalité
de l’âme].
Voltaire et Rousseau sont totalement déistes.
Grâce aux Lumières de la raison, il peuvent se forger une morale (sans vie
après la mort). Il faut donc une religion pour les Philosophes — le déisme —
car ils sont capables de se forger une morale ; mais il faut aussi une
autre religion inventée pour les citoyens : c’est ce que Rousseau va
appeler la religion civile. Cette dernière
doit mener les hommes à respecter religieusement la loi (seule la morale peut
donner son caractère sacré à la loi).
Voltaire, lui, fait construire à Ferney une
église pour le peuple, où le prêtre Théotime n’enseigne pas les dogmes, mais la
morale, et où il invente des châtiments après la mort. « Si on laisse le
peuple sans morale, il va se perdre au cabaret ». Il faut être en conformité
avec la Nature, mais il ne faut pas lâcher la morale.
Diderot va s’efforcer d’aller encore plus loin.
(cf. le Supplément au voyage de Bougainville, avec le bon sauvage
vertueux).
Robespierre, en instaurant le culte de l’Être Suprême,
se pose la question (de façon sanglante) des rapports nature-morale-politique,
et de la vertu des citoyens. Il se rapproche ainsi de la religion civile de
Rousseau. Pour Rousseau, la religion civile est presque l’équivalent de la
religion romaine.
NB. Ne pas confondre le déisme
(tolérance, car toutes les religions sont équivalentes) et le piétisme (vision
souriante de la religion, sans damnation éternelle).
IV - RELATION NATURE / SOCIÉTÉ
L’idée de nature est à mettre en rapport avec
l’idée de société. Il y a une contradiction apparente entre la nature et la
société (ce qui est au centre même de la pensée de Rousseau). Pour tous les
autres, comme Voltaire, l’homme est un être sociable. C’est la sociabilité :
l’homme est fait pour vivre et être heureux en société (Rousseau est une
exception, il rejette cette idée de sociabilité).
À côté des lois civiles, par définition
imparfaites car inventées par les hommes, il y a les lois naturelles, qui sont
naturellement bonnes et partagées par tous les hommes (ne pas tuer, aimer son
prochain, etc.).
Les penseurs vont donc s’efforcer de trouver un
équilibre entre les lois naturelles (parfaites et semblables pour tous) et les
lois civiles (imparfaites et différentes selon les sociétés), en ayant
toutefois une prédominance pour les lois naturelles. C’est le problème que va
se poser Montesquieu en étudiant les différents régimes politiques. Les
meilleurs sont ceux qui sont le plus près possible de la loi naturelle, qui
pose la liberté de l’homme. Rousseau (première phrase du Contrat social) : « L’homme est né libre, et partout il
est dans les fers ».
Il y a, au XVIII° siècle, la réhabilitation de
l’idée de nature dans le social (au XVI° siècle, la nature était
mauvaise) ; il faut redonner sa place dans la vie sociale au plaisir.
C’est l’hédonisme (recherche du bonheur) mondain, la recherche du bonheur qui
passe par la recherche du plaisir. On réhabilite également le corps et son
plaisir (d’où la floraison des romans libertins au XVIII° siècle).
Les thèmes de la nature et du bonheur forment
l’essentiel de la pensée des Philosophes des Lumières.
V - RELATION NATURE / POLITIQUE
Tous les Philosophes ont la même question de
départ : comment faire le bonheur de l’homme ? Assurer aux hommes le
plus de bonheur qu’il est possible, c’est la question du régime politique. Pour
essayer de comprendre l’évolution de l’humanité, tous les penseurs politiques
depuis le XVI° siècle vont imaginer un état de Nature, qui préexiste à la
politique et à la société.
Selon l’idée que l’on va se faire de cet état de
Nature, la société sera un mal ou un bien, ou bien encore un état intermédiaire.
Il y a trois positions :
— Hobbes, philosophe anglais
du XVII° siècle, pose dans son ouvrage le Leviathan
que l’état de Nature, c’est l’état de Guerre (« l’homme est un loup pour
l’homme »). Il faut donc contraindre les hommes à passer à l’état civil,
puis les obliger à y rester. Hobbes justifie ainsi le despotisme, un pouvoir
fort « pour leur bien ».
— Locke a une position
intermédiaire. Dans l’état de Nature règne la liberté ; néanmoins, le
passage à l’état civil assure le bonheur de l’homme. On a la notion de contrat,
c’est-à-dire la recherche d’une société non despotique, qui repose sur un
contrat de soumission souverain-sujets.
— Rousseau, quant à lui, affirme
que l’état de Nature est l’état de liberté totale, donc de bonheur. Le passage
dans le social est donc une catastrophe, une dégénérescence, une
dénaturation : l’homme s’enfonce dans le malheur. Dans le social, l’homme
ne peut qu’être malheureux. Mais l’histoire ne fait jamais machine arrière. Il
est impossible de revenir à l’état de Nature originel. Le problème de Rousseau,
c’est de trouver un modèle social se rapprochant le plus possible de l’état de
Nature, sous une forme de contrat non de soumission, mais d’association, chargé
d’assurer la liberté du citoyen. Il faut être le plus libre qu’il est possible
de l’être.
CONCLUSION
Les Philosophes sont tous ceux qui sont utiles aux autres.
Il y a un refus de la métaphysique, qui tient à
l’influence du sensualisme sur les français. Jusqu’en 1750-1755, le Philosophe
des Lumières se caractérise par son optimisme, sa croyance dans le progrès
(inéluctable, conduit par les lumières de la raison).
Aucun domaine ne doit échapper au Philosophe des
Lumières, tout est prétexte à la réflexion.
Enfin, les Philosophes des Lumières sont déistes.
I - SA VIE
Montesquieu est le premier sociologue (mot
inventé par Auguste Comte au XIX° siècle) que nous connaissons, car il va
s’interroger sur les faits sociaux, pour comprendre l’évolution de la société
(romaine, mais aussi française, cf. les Lettres
persanes).
Dans son œuvre, il est parfaitement représentatif
de l’esprit du XVIII° siècle ; il y a deux aspects : un aspect
sérieux (L’Esprit des lois) et un
aspect plaisant (Les Lettres persanes).
Il en a été de même pour Fontenelle quand il a vulgarisé la physique. Son style
se souvient de La Bruyère, annonce Voltaire, et trouvera un écho chez Stendhal.
Né en 1689 (5 ans avant Voltaire), il a un pied
dans le règne de Louis XIV, ce qui va le marquer (critique féroce de
l’absolutisme). Les premiers révolutionnaires (les « monarchiens »),
en 1789, qui veulent une monarchie constitutionnelle, seront des disciples de
Montesquieu.
Il est originaire du Berry, dans la région de Bordeaux,
d’une famille constituée d’un catholique (père) et d’une protestante (mère).
Montesquieu naît donc dans une famille où la tolérance est la règle (un mariage
mixe de ce type était très rare).
À 11 ans, en 1700, il entre au Collège de Juilly,
un collège d’oratoriens de la région parisienne, à près de 600 kilomètres de
chez lui. C’est sans doute là que Montesquieu a pris le goût de l’observation
des sociétés, en suivant des études très modernes.
Au XVIII° siècle, les Collèges sont aux mains des
ordres religieux. Il y a deux ordres principaux, qui sont à la pointe de la
modernité en matière de pédagogie : les jésuites d’un côté, et les
oratoriens de l’autre.
— Les collèges jésuites, où
l’on enseigne le théâtre et les spectacles (pourtant condamnés au XVIII°
siècle).
— Les collèges d’oratoriens,
qui contrairement aux jésuites appliquent une pédagogie moderne, enseignent la
géographie (avec des cartes, des documents et des gravures). Ils ont un
enseignement vivant ; ils observent les sociétés étrangères, enseignent
les langues mortes comme le latin, ainsi que les langues vivantes.
En 1705, Montesquieu retourne à Bordeaux pour
faire son droit (il sera donc aussi un juriste, appartenant à la noblesse de
robe). NB : il y avait deux
noblesses, la noblesse d’épée, militaire, et la noblesse de robe, qui constituait
la magistrature.
Au début, Montesquieu y perd son temps. À
l’université, le doyen a 98 ans, son fils (75 ans) est le professeur principal
de droit de Montesquieu ; Montesquieu a également un professeur aveugle de
80 ans ; de plus, Louis XIV avait institué un cours de droit français...
mais dont le professeur était irlandais.
Ayant obtenu sa licence de droit, il peut
prétendre à une charge d’avocat. Il monte à Paris (ses parents l’y envoient) et
apprend « sur le tas » de 1709 à 1713.
Le passage de Bordeaux à Paris, c’est un peu
comme entrer dans un autre monde : Paris est le centre du monde à
l’époque. Montesquieu va être un peu comme ses persans, il va voir Paris avec
des yeux neufs et un regard critique.
De 1709 à 1713, le persan, c’est Montesquieu. Il
fréquente les milieux littéraires (c’est le siècle des salons, surtout de
femmes, soit de l’aristocratie, soit de la haute bourgeoisie, qui ont des jours
de réception de célébrités intellectuelles. Montesquieu va tremper dans ces
débats philosophiques, notamment sur les religions. Dans les Lettres persanes, on retrouve tous les
débats de cette époque).
En 1713, le père de Montesquieu meurt. Ce dernier
rentre à Bordeaux, où il devient Comte de la Brède. Il se marie (et il restera
attaché à sa femme), et devient propriétaire terrien (vignes), et se retrouve
confronté à des problèmes pratiques.
En 1716, il devient président à mortier du
Parlement de Bordeaux (c’est-à-dire président de l’ensemble des juges), et il
se retrouvera confronté à tous les problèmes de droit du Parlement. Il devient
également président de l’Académie de Bordeaux (les Académies étaient des assemblées,
qui parfois remontaient au Moyen-Âge, de nobles lettrés qui débattaient de tous
les problèmes intellectuels du temps). Montesquieu se retrouve donc au cœur des
débats juridiques et philosophiques.
En 1721 paraissent les Lettres persanes, de façon anonyme, sous la Régence. Louis XIV est
alors mort depuis 6 ans, et ses 20 dernières années de règne ont été terribles
(les caisses de l’État sont vides, les pauvres sont surimposés ; les
persécutions contre les protestants, sous la forme des
« dragonnades », est reprise. Le pays souffre énormément). Philippe
d’Orléans prend la régence (cf. le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence). Dans les Lettres persanes, il y a une critique de
la société de cette régence (cf. lettre sur la mode, n°99), ainsi qu’une
critique de la période précédente (entre autres, l’absolutisme de Louis XIV).
Les Lettres
persanes sont anonymes, car il y a le risque de l’embastillement, mais
surtout, parce qu’un président à mortier ne peut pas publier un roman,
« genre » encore très mal vu (ce sont des « écrits pour les
bonnes-femmes »), d’un point de vue littéraire et moral (car réaliste, il
montre les tares de la société). À propos de la parution anonyme de son
ouvrage, Montesquieu dit : « Si l’on savait qui je suis, on
dirait : « son livre jure avec son caractère ; il devrait
employer son temps à quelque chose de mieux ; cela n’est pas digne d’un
homme grave ». Mais l’on saura très vite que les Lettres persanes sont de Montesquieu. Elles sont l’un des premiers
succès en librairie. Les libraires (c’est-à-dire les éditeurs) en redemandent,
ils veulent qu’on leur fasse des lettres persanes !
Dans les Lettre
persanes, on a déjà en germe tout ce qu’on va trouver dans l’Esprit des lois, peu facile d’accès.
Grâce à la forme d’un roman épistolaire, il critique l’absolutisme et Rome (le
pape).
1721 marque donc le coup d’envoi de l’esprit des
Lumières ; la critique pénètre le grand public. D’une certaine façon,
c’est le début de l’esprit philosophique des Lumières (« à la
française »), qui se caractérise par l’expérience, l’observation des faits
en se servant du regard des autres (cf. L’Ingénu
de Voltaire). On enveloppe la critique dans du spirituel, du plaisant.
Montesquieu a travaillé très sérieusement pour se
renseigner sur les persans (ne serait-ce, par exemple, que pour les dates
d’arrivée des lettres). Le XVIII° siècle est le siècle des transports, on
voyage beaucoup (idée d’une Europe sans frontières).
Une autres des leçons des Lettres persanes est le
relativisme. Dans la diachronie, les Philosophes vont se rendre compte qu’à
côté de la civilisation française, il y a des civilisations tout aussi
importantes et brillantes, parfois même plus. La vérité n’est pas qu’en France.
Il y a aussi l’importance du genre littéraire
qu’est le roman épistolaire. Les Lettres
persanes sont le premier du genre, un genre fondamental au XVIII° siècle.
Les trois plus grands romans du XVIII° siècle seront des romans
épistolaires : Les Lettres persanes,
Les Liaisons dangereuses et La Nouvelle Héloïse.
II - CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES DE LA GRANDEUR DES ROMAINS
ET DE LEUR DÉCADENCE
Ouvrage théorique publié en 1734, il marque une
date dans la pensée politique du XVIII° siècle. Pour la première fois, on va
avoir une réflexion globale sur la vie des sociétés. Avant, elles paraissaient
immuables.
Montesquieu montre que les sociétés naissent, vivent et meurent ;
elles évoluent, car les hommes font leur histoire (laïcisation de l’histoire).
Pour expliquer une société, il faut remonter aux
origines. La méthode de Montesquieu, c’est l’esprit d’examen. On a l’idée de
relativité entre les civilisations : elles sont différentes pour
différentes raisons (dont les climats, voir ci-dessous), mais toutes sont
également dignes d’intérêt et d’estime.
La théorie des climats. Il y a la vigueur dans les pays froids, mais peu
de sensibilité aux plaisirs. Dans les pays chauds, il y a un amollissement des
hommes qui dispose à la servitude. « Les mauvais législateurs sont ceux
qui ont favorisé les vices du climat, et les bons ceux qui s’y sont
opposés » (L’Esprit des lois,
XIV, chap. 5). Cf. Diderot qui s’en souviendra dans son article « économie
politique » de l’Encyclopédie.
Il y a aussi une prise en compte de l’économie,
qui n’effleurait pas les historiens du XVII° siècle. On entre dans une
explication moderne, l’économie est un des moteurs indispensables des sociétés.
Montesquieu va également être le premier à prendre en compte les
phénomènes de population dans la vie des sociétés, notamment (et il se trompe)
la question des relations entre la démographie et les régimes politiques. Le
meilleur des régimes, selon lui, est la république (on connaît déjà les
républiques antiques (Rome, Athènes) et modernes (Genève). Mais la république
est inapplicable dans les grandes nations, à forte population. Or, la France
est le pays le plus peuplé d’Europe. On ne conçoit encore que des républiques
fonctionnant par démocratie directe.
Il y a de plus le rôle de la religion dans
l’évolution des sociétés. Avant, il n’y avait qu’une seule explication, la
Providence divine (cf. Bossuet). Montesquieu va montrer que dans la vie des
sociétés, la religion n’est qu’un élément parmi d’autres, qui a toutefois son
importance, car sans religion, il n’y a pas de cohésion sociale.
Montesquieu étudie les mentalités des gens, leur
esprit. Cela est très nouveau. On est forcément « l’autre » de
quelqu’un (« qui est ce français ? »), et l’autre est tout aussi
digne que nous. C’est la tolérance, et le début du respect de l’autre.
Toutes ces idées, déjà présentes dans les Lettres persanes, représentent la
dynamique de la pensée de Montesquieu. Son but est de rechercher les causes
déterminantes de la vie sociale.
III - L’ESPRIT DES LOIS
Il est publié en 1748, et il aura une grande
influence sur tout le XVIII° siècle. Il s’interroge sur les formes de gouvernement,
le droit (cf. dans les Lettres persanes,
les lettres sur les troglodytes).
Pourquoi « l’esprit » ? On
s’interroge encore. S’agit-il de la nature des lois (que sont les lois, que
contiennent-elles, pourquoi sont-elles bonnes ou mauvaises ?) ? Dans
quel esprit faut-il fonder les lois pour qu’elles puissent être
respectées ? Est-ce le sacré ? Lois naturelles ou société (droit
civil) ? (cette question se pose déjà au XVI° siècle).
Il y a en effet une distinction centrale entre le
droit naturel et les lois civiles. Quatre points essentiels constituent ce droit
naturel (ce sont des comportements), bien que ces principes ne soient pas respectés :
— La paix entre les hommes (et non pas la paix entre les États). Le
respect de l’autre, la tolérance. Les relations entre les individus sont
fondées sur l’égalité au sein de l’espèce humaine. La société doit tendre le
plus possible vers cette égalité (d’où la recherche d’un moindre mal, la
monarchie).
— Dans l’état de Nature, nous sommes mus par le besoin de survivre. Pour
Hobbes, cela pousse à la guerre contre les autres ; pour Rousseau, cela
s’exprime par l’amour de soi. Montesquieu est le premier à aller à l’encontre
de Hobbes. Il a trouvé à ce besoin de survie des conséquences positives.
Certes, l’homme a besoin de survivre, mais il prête cet instinct aussi aux membres
de son espèce (d’où le respect de la vie de l’autre). Si un monarque n’applique
pas la loi naturelle, on peut renverser ce monarque (attention, ce n’est pas un
appel à la révolution !).
— L’amour lié au besoin ou au désir est relégitimé (contrairement au
XVII° siècle). Cette attraction est liée à la reproduction (à la survie) de
l’espèce (cf. Rabelais).
— Il y a chez l’homme le désir naturel de vivre en société. C’est
pourquoi les hommes vont passer de l’état de Nature à l’état Civil. C’est le
désir humain de sociabilité, de vivre en société (pour Montesquieu, c’est un
bien, tout comme pour Voltaire, cf. Le
mondain). Cela va permettre à l’homme de progresser, avec l’usage de la
raison. Rousseau va s’opposer sur ce point à ses collègues : pour lui, la
sociabilité n’existe pas, le plus grand des malheurs, c’est le passage de
l’homme à l’état Civil.
S’ajoute à cela le sentiment primitif de la
divinité. Par le spectacle de la nature, l’homme a le sentiment du divin, un
sentiment direct : c’est la religion naturelle (dont le déisme n’est
qu’une variante), où il n’y a pas de clergé ; c’est une religion où il n’y
a pas de médiation, d’intermédiaire entre l’individu et le divin. Dans la religion
naturelle, tous les hommes sur la Terre ont le même Dieu. Par essence, cette
religion naturelle est tolérante. La religion naturelle doit nous rappeler, lorsque
nous sommes passés dans l’état Civil, que nous aimons le même père, le même
Dieu, sous des noms différents. L’esprit de tolérance doit régner.
Cf. les lettres sur les Troglodytes. La loi
naturelle est supérieure à la loi civile ; toute loi civile allant contre
les lois naturelles est mauvaise. Toute loi édictée par un despote est
contraire aux lois naturelles (car elle ne respecte pas ces lois
naturelles) ; le despotisme est donc une mauvaise forme d’organisation.
Toute religion civile se trouve soumise à cette religion naturelle, dont le
principal enseignement est la tolérance. Toute religion intolérante contrevient
à la religion naturelle et doit donc être critiquée, en priorité le
christianisme pour Voltaire (inquisition, guerres de religion :
« l’infâme »). A partir des années 1760, Voltaire signe ses lettres
ÉCR. L’INF. (« écrasons l’infâme »).
Il y a une opposition entre loi naturelle et loi
civile. Le droit naturel est intangible, commun à toute l’humanité. C’est
l’horizon de référence. Les lois civiles (les lois positives) peuvent être
défaites si elles ne sont pas bonnes (cela est très important à l’époque, car
on ne peut toucher à la monarchie de droit divin). Les lois civiles doivent
tendre (et cela est nouveau) à préserver ce qu’on commence à appeler le droit
des gens. On ne parle plus de sujets (qui n’ont que des devoirs), mais de
citoyens.
C’est aussi l’organisation des rapports entre les
peuples, avec des frontières sûres et reconnues, génératrices de
sécurité ; le droit de non-agression entre les peuples ; la notion de
guerre juste et de guerre injuste.
Montesquieu n’est pas un utopiste, il est très
concret. Il est obligé de constater que la guerre existe, qu’elle n’est pas
toujours évitable, d’où le souci d’humaniser les conflits et d’humaniser les
conquêtes. Montesquieu s’indigne de la traite des noirs, alors florissante
(Voltaire, lui, a investi dans ce commerce).
La question des formes de gouvernement s’est
posée pendant tout le siècle. L’Angleterre apparaît en France comme un modèle,
c’est bien une monarchie, qui ressemble presque à une démocratie par rapport au
despotisme français. Pour Montesquieu, il y a trois formes envisageables :
le despotisme, la république et la monarchie et ses sous-catégories. Le
problème, c’est de les décrire, de voir comment elles fonctionnent, et voir
quelle est la meilleure forme de gouvernement (c’est-à-dire qui peut assurer le
plus de bonheur possible). L’anarchie (l’absence de gouvernement) en est
totalement exclue (elle représente un courant très peu représentatif du XVIII°
siècle).
Quelle est la forme
de pouvoir qui ne risque pas de dériver vers une forme négative de
pouvoir ? Ces trois types de gouvernement reposent chacun sur un principe.
Le principe (et la faiblesse) de la tyrannie, du despotisme, c’est la crainte.
Celui de la démocratie, c’est la vertu du citoyen. Enfin, celui de la
monarchie, c’est le principe de l’honneur.
Le despotisme. Montesquieu en a une sainte horreur. pour lui,
c’est une forme de gouvernement qui n’est pas viable, qui va obligatoirement à
sa perte, car il est fait par la force et repose sur la crainte. Or, ce qui est
fait par la force peut être défait par la force (métaphore du château de sable,
très fragile). La révolte devient alors légitime (aspiration au bonheur). La
question de l’inégalité se pose. Curieusement, le despotisme assure l’égalité
entre les hommes, mais dans le malheur. Mais au XVIII° siècle, on ne peut plus
justifier un tel gouvernement avec la Raison (contrairement au XVII° siècle,
comme avec Hobbes).
La république. Montesquieu appartient à la noblesse de robe, et
il est attaché à la monarchie. Mais il écrit quand même que pour lui, le
meilleur des régimes, c’est la république, puisqu’elle assure l’égalité entre
les citoyens, sous le principe de la vertu, de l’esprit civique (le respect des
lois de la république). Mais pour lui, la république n’est qu’une utopie pour
les grandes nations comme la France (contrairement aux républiques antiques).
Dans un tel régime, il faudrait le respect
quasi-sacré de la loi. Ces lois ne doivent pas tomber du ciel, mais être
l’émanation du désir de tous les citoyens : les lois sont faites pour que
tous les respectent. Le gouvernant est donc un magistrat, chargé de mettre en
forme et de faire respecter les lois des citoyens. Le problème de la vertu,
c’est que l’on ne peut l’acquérir que par l’éducation. Il faut faire de
l’enfant un citoyen. Ce problème sera posé à la Révolution, Condorcet va
émettre ses idées sur l’éducation (c’est l’idéal de l’école de la III°
République).
La république est donc utopique, mais c’est un
modèle vers lequel il faut tendre. Comment, au sein de la monarchie, peut-on
s’en rapprocher le plus possible ?
La monarchie. C’est le moindre mal. Son défaut, c’est que
c’est le pouvoir d’un seul (« mono »), et elle peut donc toujours
dériver vers l’absolutisme, qui est une forme de despotisme.
Montesquieu est certainement celui qui a fait la
critique la plus féroce de l’absolutisme ; il a critiqué le règne de Louis
XIV directement, mais aussi celui de Louis XV. Pour lui, l’absolutisme est la
mal absolu, le malheur de l’homme (il l’a vu sous Louis XIV). Il la condamne
(et c’est celle de la France).
Il se pose aussi le problème de la liberté
(comment assurer celle des citoyens ?).
Il existe un autre type de monarchie, qui est la
seule viable selon Montesquieu : la monarchie féodale. Il va montrer
qu’elle a existé, qu’elle n’existe plus et qu’elle est utopique (c’est la
première monarchie, ou la monarchie des origines). C’est la seule qui marche
avec le principe de l’honneur. Elle est fondée sur un contrat non écrit (il n’y
en a pas besoin, car le principe de l’honneur fait que personne ne s’y
soustraira). Le lige est celui qui est lié à l’autre. L’honneur fait que l’on
respecte ce lien. La monarchie féodale est donc un système inégalitaire, mais
qui peut assurer le bonheur ; mais on ne peut y revenir.
Il y a une monarchie constitutionnelle, tempérée,
supportable. Le modèle, c’est l’Angleterre (il y a au XVIII° siècle une
véritable passion pour l’Angleterre). La façon dont fonctionne la justice en
Angleterre a été une des causes de la Révolution française. En France, la
justice est vénale (on achète sa charge pour devenir juge, d’où une certaine
corruption), alors qu’en Angleterre, la justice est élective. La question de la
liberté se pose toujours. En France, une simple lettre de cachet du Roi peut
embastiller n’importe qui sans explications. En Angleterre, il y a la loi de l’habeas corpus (« tu es propriétaire
de ton corps »), et les anglais sont protégés contre ce genre
d’emprisonnement arbitraire ; cela éblouit les Lumières. En France enfin,
la religion est celle du monarque, et les autres sont discriminées et persécutées.
En Angleterre, il y a l’anglicanisme, mais les autres religions sont admises
(cf. les lettres philosophiques de Voltaire). L’Angleterre a donc une monarchie
qui a réussi à se débarrasser de l’absolutisme. Le pouvoir monarchique est
certes héréditaire, mais il est tempéré par le Parlement et par la Chambre des
Lords. En Angleterre, c’est le mérite que l’on reconnaît (les grands hommes,
les poètes sont anoblis) ; en France, c’est la naissance. Molière (Dom Juan) : « La naissance
n’est rien si le mérite n’est pas ».
La solution est donc celle de la monarchie
tempérée (ce qu’essayeront de faire les Girondins au début de la Révolution).
Dans chaque pays, les droits de ceux qui
constituent la nation doivent être écrits, sous forme d’une constitution.
Bibliographie :
— René Pommeau, Voltaire et son temps (biographie
collective en cinq volumes, écrite par tous les spécialistes de Voltaire), et
tout particulièrement le tome 4, Écrasons
l’infâme.
— Jacques van den Heuvel, Voltaire dans ses contes (Armand Colin).
— les différents Contes de Voltaire.
— Les lettres anglaises.
— Le Mondain.
— Poème sur le tremblement de terre
de Lisbonne.
I - INTRODUCTION
Voltaire est une figure emblématique du XVIII°
siècle français. Victor Hugo appelle d’ailleurs le XVIII° siècle le
« siècle de Voltaire ».
Son pseudonyme est l’anagramme de son véritable
nom : AROVET Le Ieune (Arouet le
Jeune, écrit avec l’alphabet latin).
Voltaire domine la politique, la philosophie et
la littérature du XVIII° siècle. C’est un mauvais philosophe, au sens classique
du terme, mais le plus représentatif des Philosophes des Lumières, celui qui
milite pour le bonheur des autres. Il s’intéresse à tout, et il est le meilleur
connaisseur de son temps en ce qui concerne les écritures saintes. Il se
passionne pour les sciences, qu’il vulgarise (notamment Newton). C’est
également le premier des historiens modernes. Lanson : « Voltaire est
un chaos d’idées claires ». Il envoie quantité de ses « bombes
volantes » (ses lettres, qui forment une ouvre immense). Voltaire est un
homme d’action, comme l’indique le titre de l’ouvrage de Delatre, Voltaire l’impétueux (impetuus : l’assaut, en latin).
Pour les hommes du XVIII° siècle, Voltaire est
avant tout un homme de théâtre (le XVIII° siècle est avant tout le siècle du
théâtre, qui touche toutes les couches sociales, allant des théâtres de foire
(parvis des églises) à l’opéra). Il a écrit un nombre important de tragédies. A
84 ans, le pouvoir royal lui permet de quitter Ferney pour la dernière
représentation de Irène. C’est l’apothéose, le peuple de Paris est là pour
célébrer Voltaire l’homme de théâtre et l’homme des assauts. Son théâtre est
cependant mort (il n’y aura pas de deuxième Racine).
Voltaire est un polygraphe, il touche à tous les
genres : correspondances, ouvrages autobiographiques, petits romans,
contes, ouvrages philosophiques, historiques ou scientifiques, etc.
Il est aussi le « premier intellectuel
engagé » (Philippe Sollers).
II - SA VIE
La vie et l’œuvre de Voltaire sont inséparables.
Voltaire est un véritable écorché. Il somatise, est hypocondriaque. Musset
parle du « hideux sourire de Voltaire ». Il est toujours malade, à
l’article de la mort.
Il reçoit beaucoup.
Très généreux, mais surtout très rancunier, il
n’oublie jamais rien. On le touche à peine, on le pique. On le pique, et il
mord.
Pour lui, il n’y a que la fin qui compte. Surtout
quand c’est pour la bonne cause, il emploie tous les moyens, même la mauvaise
foi. Voltaire : « Il faut marcher en ricanant sur les chemins de la
vérité ». C’est un auteur militant.
François-Marie Arouet naît à Paris en 1694. Il
n’appartient pas à l’aristocratie, mais à la bonne bourgeoisie. Sa mère est
très sage, mais elle est libertine d’esprit. Avec elle et un oncle chanoine,
Voltaire va fréquenter les milieux libertins (être libertin signifie être
philosophe au XVIII° siècle). Très jeune, Voltaire va donc baigner dans un bain
philosophique.
Le concept de « libertins » apparaît
surtout à la fin du XVIII° siècle (libertinus
signifie « libre », en latin). Il y a des libertins de corps (comme
Valmont dans les Liaisons Dangereuses)
et des libertins d’esprit, c’est-à-dire des libres penseurs, des personnes qui
prennent des distances par rapport à la religion).
Son père et son frère sont jansénistes (l’aspect
religieux le plus sombre des XVII° et XVIII° siècles). Les jansénistes ont une
vision sombre du religieux. Le jansénisme vient de la lecture des écrits de
Saint-Augustin par l’évêque d’Ypres, Jansen. Il a réfléchi sur la grâce
divine : d’après lui, elle ne nous est pas attribuée selon nos mérites. Il
faut néanmoins se comporter comme si elle l’était.
Chez le jeune Voltaire, il y aura donc un aspect
libertin, mais aussi sombre (il aura une répulsion pour le religieux sombre et
fanatique).
Il fait ses études chez les jésuites , à Paris,
au Collège d’Harcourt. Il admirera sa pédagogie. Dans ce collège se retrouvent
surtout les enfants des nobles (les futurs ministres, qui seront utiles plus
tard à Voltaire). Trois choses le marqueront profondément :
— l’amour du théâtre (alors interdit ailleurs).
— les jésuites sont missionnaires, et pour catéchiser, ils vont partout.
Ils envoient les « lettres édifiantes », qui présentent la vie de
continents peu connus à l’époque, comme la Chine ; ces lettres sont
étudiées en classe. De là vient la véritable sinophilie de Voltaire (cf.
article sur Confucius dans le Dictionnaire
philosophique). Le confucianisme apparaît à Voltaire comme un exemple de
tolérance, à l’opposé de la religion chrétienne.
— l’excellent enseignement du latin (en France jusqu’en 1960). Il va
permettre à Voltaire de faire de l’exégèse, à partir des textes latins
(Voltaire est, rappelons-le, un des meilleurs connaisseurs des écritures
saintes).
1718. C’est la date du premier séjour de Voltaire
à la Bastille, par lettre de cachet, sous la Régence. Voltaire mène alors une
vie de jeune bourgeois riche, et il peut fréquenter la haute noblesse. Il est
reconnu comme un des meilleurs poètes parisiens. Mais il commet la maladresse
d’écrire des vers latins sur de prétendues relations incestueuses entre le
régent et sa fille, ce qui provoque son embastillement. C’est la première
grande humiliation que subit Voltaire. Cela date son premier combat contre
l’absolutisme, et le souhait d’une monarchie constitutionnelle (comme
l’Angleterre). Il restera à la Bastille quelques mois, puis il retournera ) à
la cour.
1726. Deuxième embastillement de Voltaire. C’est
Noël. Voltaire est chez le duc de Rohan (une des plus grandes familles de
France), à l’hôtel de Sully. Un des fils du duc se moque gentiment de Voltaire,
et de sa roture. Voltaire lui répond : « Monsieur, mon nom commence
là où finit le vôtre ». À la sortie de l’hôtel, Voltaire se fait bastonner
par les domestiques ; il annonce alors son intention de se battre en duel
(ce qui est impossible pour un bourgeois, surtout contre un noble, cf. L’Ingénu). Cela provoque une deuxième
lettre de cachet à son encontre.
Le pouvoir royal lui propose alors un
marché : soit il reste embastillé, soit il s’exile en Angleterre. Voltaire
opte donc pour l’Angleterre, où il séjournera en 1627 et en 1628. Il va
apprendre l’anglais, lire les philosophes anglais, et découvrir un autre monde,
une autre société, une autre philosophie. Tout ce qu’il va découvrir, il va
l’écrire dans ses Lettres anglaises
(publiées en 1734 seulement, puis appelées Lettres
philosophiques). La dernière lettre (n°24) dénonce Pascal et son
jansénisme. C’est la première bombe, avec les Lettres persanes de Montesquieu, contre l’Ancien Régime. A partir
du modèle anglais, il va écrire une critique féroce.
L’Angleterre apparaît comme le pays de la
tolérance religieuse. A côté de l’Église officielle, anglicane, il y a des
sectes diverses (le quakerisme par exemple, une doctrine protestante prêchant
le pacifisme, la philanthropie et la simplicité des mœurs. Cf. la lettre sur
les quakers dans les Lettres anglaises).
Voltaire : « S’il y avait deux religions en Angleterre, elles
s’égorgeraient ; il y en a tellement qu’elles vivent en bonne
intelligence, et chacun va au ciel comme il l’entend ».
Comme tous les français qui observent
l’Angleterre, il va découvrir le régime politique de ce pays, la monarchie
constitutionnelle. Il découvre aussi — ce qui est important pour quelqu’un qui
a été embastillé deux fois — la loi de l’habeas
corpus (on ne peut pas emprisonner quelqu’un avant d’avoir eu la preuve de
sa culpabilité). C’est la terre de la liberté. Il en naîtra une anglophilie
dont Voltaire ne se départira jamais.
Dans sa Lettre
sur la Bourse de Londres, Voltaire découvre une économie tout autre que celle
de la France. Pour lui, l’économie est ce qui peut rendre une nation heureuse.
Or, pour Voltaire, l’économie française ne peut pas marcher, pour deux
raisons :
— la France a une économie boiteuse, car ceux qui ont la richesse
n’investissent pas dans le commerce (ils continuent de croire que la richesse,
c’est la terre). Voltaire se rend compte que ce qui fait marcher le pays, c’est
le commerce, avec l’industrie naissante.
— Alors que la noblesse anglaise travaille, la noblesse française n’en a
pas le droit, ce qui étonne Voltaire. Cela fait une énorme différence : en
Angleterre, la noblesse apparaît active et participant au bonheur du pays.
Voltaire va se retrouver confronté aux ouvrages
de Hobbes, ce qui déclenche sa pensée politique. Il va aussi rencontrer Locke
et l’empirisme anglais (le sensualisme, en France), qui va chez tous les
Philosophes générer une méfiance de la métaphysique (Voltaire sera le plus vindicatif).
Il y a un refus radical de toute pensée spéculative. Le sensualisme est très
important dans la controverse religieuse entre le déisme et l’athéisme
(Voltaire était profondément déiste), car il empêche de tomber dans l’athéisme,
à l’aide du spectacle de la nature.
Il va aussi rencontrer le système de Newton (la
gravitation universelle), qui est une autre grande découverte. C’est
l’intuition de la divinité à l’origine de l’ordre de l’univers.
Le pouvoir royal ne gagne donc pas à avoir envoyé
Voltaire en Angleterre, car c’est là qu’il s’est forgé son « magasin
d’idées », selon l’expression de Rousseau.
De plus, Voltaire a rencontré la forme littéraire
qui lui convient le mieux, dans laquelle il se sent à l’aise : la forme
brève (Lettres anglaises), qui permet
d’être très précise en peu de mots.
En 1734 paraissent les Lettres anglaises. « Ça sent la Bastille ». Les Lettres anglaises sont condamnées comme
étant « contraires aux bonnes mœurs (sic), à la religion et à la
monarchie ». L’ouvre est brûlée sur les marches de la Sorbonne. Voltaire
prend donc les devants et s’exile de lui-même : c’est la période de Cirey
(1734-1749), chez Mme du Châtelet. Celle-ci est mariée avec un petit baron possédant
un château en Lorraine (qui n’est, à l’époque, pas en France). Mme du Châtelet
protège Voltaire ; il trouve donc sa sécurité chez la « divine
Émilie », qui abandonne son mari pour être la maîtresse de Voltaire. C’est
une des périodes les plus fécondes pour Voltaire. Émilie du Châtelet est
extrêmement cultivée, elle est très scientifique — elle a fait construire un
laboratoire de physique / chimie chez elle —, et elle va expliquer à Voltaire
le système de Newton, que Voltaire vulgarisera en 1738 dans son ouvrage Éléments de la philosophie de Newton.
Voltaire affine sa critique biblique. Dom Calmet
(ecclésiastique auteur d’un Dictionnaire
de la Bible) lui sert de secrétaire. Voltaire effectue un travail
d’historien sur la Bible ; il va critiquer férocement la Genèse principalement,
mais aussi le Deutéronome, censé être écrit par Moïse... mais dans lequel la
mort de ce dernier est racontée !
À Cirey, Voltaire va également mener à bien
l’essentiel de son œuvre d’historien (Essai
sur les mœurs, une véritable histoire universelle, véritable étude
scientifique conçue avec les souci de ne pas ennuyer le lecteur, d’où l’emploi
de nombreuses anecdotes, qui sont déjà de petits contes).
Il commence aussi à écrire ses contes. Ils ne
servent au départ qu’à le délasser, mais il y fait entrer tous les débats
philosophiques de son temps de manière plaisante. En 1748, avec la publication
de Zadig, c’est la naissance du conte
philosophique, avec les problèmes posés sur le déterminisme (en sommes-nous
prisonniers ?).
Il est autorisé à venir quelques jours à Paris,
car il a été élu à l’Académie française (mais il n’y siégera jamais).
En 1749, la « divine Émilie » meurt.
C’est une perte énorme pour Voltaire, qui n’est pas seulement affective.
Depuis longtemps, Frédéric II, le roi de Prusse,
échangeait une correspondance avec Voltaire. Il invite ce dernier à la cour à
Berlin, et Voltaire accepte en raison de la mort d’Émilie. Il y restera de 1749
à 1753. Une fois de plus, il va connaître l’humiliation. Mais c’est une période
féconde dans sa vie intellectuelle.
Au début, tout va bien, Voltaire étudie, il est
nommé Grand Chambellan... Mais il va vite se rendre compte que Frédéric II est
un faux roi-philosophe, un véritable despote qui voile son despotisme derrière
de fausses préoccupations philosophiques. Il a dit à propos de Voltaire :
« Quand on a pressé le citron, on jette l’écorce ». Voltaire,
humilié, prend sa plume (critique), puis il se sauve. Mais il est rattrapé à la
frontière, et jeté en prison pour quelques jours.
Il continue son exégèse biblique à Berlin, et son
œuvre d’historien. En 1752, lors d’un repas avec le roi, naît l’idée d’un
Dictionnaire portatif (qui deviendra le Dictionnaire
philosophique), qui dénoncerait l’infâme. Voltaire se met tout de suite au
travail, et rédige 5 articles (car il est déçu par l’Encyclopédie de Diderot, qui ne répond pas à son but — la diffusion
des Lumières — car elle est volumineuse d’une part, mais aussi chère, et donc
son impact est trop limité). Ensuite, il
s’enfuit.
Or, il est toujours décrété « de prise de
corps » (la police royale est à ses trousses pour le remettre en prison).
Il ne peut rester en Allemagne, ni en France. Il ne lui reste qu’une
solution : la Suisse. C’est la période de Genève (1755-1759), où il
acquiert une propriété qu’il va appeler les Délices. Il y rédigera Candide.
1755 est l’année du désastre de Lisbonne, un
tremblement de terre qui rasera une partie de la ville (cf. le Poème sur le désastre de Lisbonne), et
qui fait des milliers de morts. L’événement frappe toute l’Europe. Car si la
Providence divine existe, comment Dieu a-t-il permis la mort de tant
d’innocents ? C’est l’année du désespoir pour Voltaire, qui se met à
douter de tout (cf. Candide).
Voltaire a des problèmes avec la ville de Genève
(la Nouvelle Sion, la Nouvelle Jérusalem), ville-phare du protestantisme (c’est
la ville de Calvin), très austère, complètement réglée (même politiquement) par
les sermons des pasteurs, et où l’on peut être condamné à mort pour athéisme
(XVII° siècle) ou banni de la République de Genève avec confiscation des biens
(XVIII° siècle). Les divertissements y sont interdits (y compris, donc, le
théâtre). Or, Voltaire adore le théâtre, et il veut en construire un. Cela lui
est interdit, et comme il ne peut retourner en France, il s’installe dans le
pays de Gex, à Ferney (il y fera construire un théâtre de 500 places).
C’est une des périodes les plus importantes pour
Voltaire. Il y restera de 1760 à sa mort, en 1778. Voltaire a alors 66 ans.
Pourtant, c’est une période intense. Voltaire est connu de toute l’Europe; on
le surnomme le « patriarche ». Les Philosophes de toute l’Europe et
des savants viennent le voir. Il écrit plusieurs dizaines de lettres par jour
(ses « bombes volantes »), qui occupent... 20 volumes de la
Pléiade !
C’est aussi la période des assauts et des
affaires voltairiennes.
En 1760, sous Louis XV, on est persuadé d’être à
l’aube d’une grande révolution dans les mentalités (et non une révolution
politique et sociale comme en 1789). Voltaire est persuadé que dans les dix
années à venir, les Lumières vont s’installer chez le plus grand nombre, et
qu’enfin, elles triompheront. Il déchantera en 1770.
Il est encore plein de vie, frénétique,
impétueux. C’est le Voltaire de tous les combats (ÉCR. L’INF.). C’est le chef
de parti de ceux qui vont s’attaquer à l’infâme (l’Église catholique romaine).
Un combat pour la tolérance, rencontrée en Angleterre 30 ans plus tôt. Le Dictionnaire philosophique connaît 11
éditions ! Pour Voltaire, l’infâme, c’est :
— d’abord une collusion entre le pouvoir temporel (monarque) et le
pouvoir spirituel (Rome, le pape) ; une collusion entre l’absolutisme et
le fanatisme (l’Inquisition), qui est le danger des dangers.
— l’absurde, l’incohérence. L’intolérance, c’est l’image même de
l’absurde, à cause du déisme voltairien (pourquoi s’entre-tuer si Dieu est le
même pour tous ?).
— les Affaires (les agissements de l’inquisition en France, différente de
l’inquisition du XVI° siècle, ou de celle de l’Espagne et du Portugal), comme
l’affaire Calas.
En 1763, c’est l’Affaire Rochette, un ministre
protestant (pasteur). Alors que la plus grande majorité des protestants ont fui
(Allemagne, Hollande, Pays-Bas), certains sont restés, concentrés dans le Jura,
du côté de Besançon, en Alsace ou dans le sud-ouest, entre Toulouse et Montpellier.
En 1762, on a découvert qu’à Toulouse, Rochette pratiquait le culte protestant,
ce qui provoque son jugement. En 1763, il sera décapité sur la place du
Capitole à Toulouse avec deux autres pasteurs (le pouvoir royal se charge
d’appliquer la sentence). Voltaire s’indigne, modérément au début, il déteste
la violence et il désire laisser se débrouiller entre eux catholiques et
protestants. Il écrit quelques textes pour leur réhabilitation. Il n’admet pas
qu’on puisse mettre à mort quelqu’un pour sa foi, ses affaires religieuses.
En 1763 également a lieu l’Affaire Calas, qui va
être importante pour la renommée mondiale de Voltaire. Calas est un brave
commerçant protestant de Toulouse. Il a un fils, dont on dit qu’il voudrait se
convertir au catholicisme. Cela ne fait aucun drame dans la famille ! Mais
une nuit, le fils est retrouvé assassiné dans la maison familiale. Le père est
désigné coupable. Il est condamné par le Tribunal de l’Inquisition à être roué
sur la place du Capitole, puis décapité.
Pendant trois ans, Voltaire va remuer toute
l’Europe, dans son combat pour la réhabilitation de Calas.
La femme et les filles de Calas demandent à
Rousseau et Voltaire leur intervention. Rousseau refuse d’intervenir, car il
vient tout juste d’écrire le Contrat
social (qui comporte l’idée que dans chaque État, les hommes doivent suivre
la religion de leurs pères, sinon, cela engendre intolérance et guerres de
religion). Il est pourtant revenu au protestantisme dans les années 1750, la
religion de ses pères, ce qui lui a permis de retrouver le titre de citoyen de
Genève.
Voltaire, lui, ému, va engager le grand combat de
sa vie. Il va faire se lever toutes les têtes philosophiques de l’époque, ses
« frères ». Les outils de cette mobilisation
intense sont sa correspondance et son Dictionnaire
Philosophique portatif (qui a pour but de dénoncer l’infâme).
Voltaire se bat contre les Églises constituées
(qui se disent détentrices de la vrai foi), qui tombent dans l’intolérance et
l’infâme.
En juillet 1764 paraît la première édition
du Dictionnaire
philosophique, comportant 73 articles. Voltaire va travailler dessus
jusqu’en 1772, et il va rajouter des articles. C’est un des ouvrages les plus
importants de Voltaire, du point de vue philosophique (il connaîtra 11 éditions
en quelques années). C’est un résumé de la pensée de Voltaire, de la pensée des
Lumières. Le Dictionnaire philosophique finit
par être condamné par la Sorbonne, et il est brûlé sur les marches de la
Sorbonne (pour « idées contraires à la religion »).
En 1766, c’est l’Affaire du Chevalier de la
Barre. C’est un jeune homme de vingt ans, qui va être déferré au Tribunal de
l’Inquisition pour ne pas s’être découvert pendant le Saint Sacrement lors de
la Fête-Dieu. Le Tribunal va aussi lui reprocher d’avoir chanté des chansons
paillardes et d’avoir brisé une croix (ce qui est faux). Sur son bûcher, on
brûle aussi le Dictionnaire philosophique
(il est accusé de l’avoir lu). Voltaire va obtenir sa réhabilitation ;
mais on est à la fin des années 1770, il est vieux, et la désillusion
s’installe. Il ne croit plus que les Lumières vont s’installer, l’infâme est
encore trop fort, et ses « frères » sont peu nombreux.
En 1770, c’est l’Affaire des paysans de Gex. Ce
sont les derniers serfs, du clergé du pays de Gex. Voltaire va faire abolir ce
dernier servage. Voltaire a eu très peur (avec l’affaire précédente), et il a
pensé s’exiler et trouver un lieu où fonder une république philosophique (il
pense à la Pennsylvanie, le pays des Quakers).
En 1772, il arrête le Dictionnaire philosophique. Il est vieux, malade, et il perd ses
forces. Il écrit une dernière tragédie, Irène,
et il gère Ferney, où il fait construire une église où est écrit :
« DEO EREXIT VOLTAIRE » (« Voltaire a érigé cette église pour
Dieu », ou « Dieu a élevé Voltaire »).
A 84 ans, il peut enfin remonter à Paris, où il
fait représenter Irène ; c’est
un triomphe, l’apothéose. Pendant les derniers jours de Voltaire, le peuple de
Paris est sous ses fenêtres.
III - SON ŒUVRE
1) Les contes
Les contes sont l’expression même de la pensée
voltairienne. Les plus connus sont Candide
et l’Ingénu ; ce sont ceux qui
posent le plus de questions. Voltaire a créé le conte philosophique pour faire
passer sa pensée philosophique dans le rire (tout ce qui est écrit au XVIII°
siècle est porteur d’idées philosophiques). Voltaire traite ses contes avec un
certain mépris. Il faudra attendre 1968 pour que la thèse de Jacques van den
Heuvel reconnaisse les contes...
a) Candide (1755)
Voltaire l’écrit alors qu’il est déjà âgé. Ce conte apparaît comme
l’expérience de toute une vie ; il représente une sorte de tournant chez
Voltaire. En 1755, Voltaire va douter de l’optimisme qui l’animait. C’est
l’année du tremblement de terre de Lisbonne, qui pose la question du
bonheur : comment est-il possible si la Providence divine a permis un tel
désastre ?
Candide pose le problème philosophique des fins dernières
(où allons-nous ? où va l’humanité ?), qui aura des réponses tantôt
optimistes, tantôt pessimistes. C’est le débat entre Voltaire-Candide et
Leibniz-Pangloss, qui pense que quoi qu’il arrive, « tout est pour le
mieux dans le meilleur des mondes possible ». Voltaire remet en partie en
question cet optimisme. Contrairement à Leibniz-Pangloss, Voltaire-Candide
doute que devant la catastrophe de
Lisbonne, les fins dernières soient les meilleures possibles.
À l’époque, l’actualité (présente dans Candide), c’est la Guerre de Sept Ans.
Elle frappe l’esprit de Voltaire. Cette violence guerrière devient la forme
suprême du mal. Voltaire condamne sous forme humoristique toute politique
agressive en Europe.
Le personnage de Candide jette un regard innocent
et distancié sur le monde (comme les deux persans des Lettres persanes). Il porte les interrogations de Voltaire. A la
fin du conte, Candide a perdu en grande partie son optimisme.
La question que se pose Voltaire, c’est :
que faire ? Il ne se laisse néanmoins pas aller au désespoir, et il
cherche à donner des réponses : c’est la morale du jardin ; il faut
cultiver son jardin (la première interprétation, erronée, est à écarter :
ce n’est pas un repliement égoïste sur soi-même).
Il y a le refus de tout système philosophique :
il n’y a pas de système philosophique général qui peut nous aider. Il faut
essayer de voir et de comprendre les choses de là où nous sommes (le jardin),
de prendre conscience de la relativité des choses.
Le devoir du Philosophe, c’est d’assurer une part
de bonheur ; pour cela, il faut faire en sorte que là où nous sommes (le
jardin), nous fassions marcher le mieux possible ce qui va rendre la vie des
hommes la moins malheureuse possible. « Cultiver » notre
jardin : c’est l’économie qui assure une part du bonheur de l’homme, il
faut être pragmatique. Voltaire est influencé par un petit ouvrage de
Mandeville, La Fable des abeilles,
qui développe la théorie du luxe: : le luxe n’est pas condamnable, mais au
contraire il est doublement positif, car il procure le plaisir aux riches, et
fait travailler les autres ; c’est le moteur de l’économie.
Assurons-nous autour de nous le plus de bonheur
possible (c’est l’affranchissement des serfs du pays de Gex).
Il y a aussi une forme de sociabilité, idée
fondamentale au XVIII° siècle. L’homme est fait pour vivre en société (une
petite société, un cercle restreint : il faut essayer de faire autour de
soi le bonheur de ses proches).
Il y a aussi un aspect politique. Tout le monde
n’est pas admis dans ce jardin. Les Philosophes y sont admis, mais pas le
peuple ; il faut rester entre gens de la même condition.
b) L’Ingénu (1767)
Voltaire l’écrit en pleine bataille contre l’infâme. Il pense que ses
« frères », les Philosophes, marquent des points et qu’on est en
bonne voie (par exemple, en France, les jésuites, soldats du pape, sont
interdits). Dans l’Ingénu, toute une
série de questions vont se poser. C’est, avec Candide, le conte le plus riche de Voltaire. C’est une attaque
directe contre Rousseau et son mythe du bon sauvage, l’homme naturel. Pour
Rousseau, l’homme naturel fait son malheur en entrant dans le social. Le bon
sauvage de Voltaire, lui, entre avec plaisir dans la société.
L’Ingénu est un feu d’artifice de toutes les idées de
Voltaire.
2) Le Dictionnaire philosophique.
a) Sa forme
Il a été écrit de 1760 à 1771. Il contient environ 118-120
articles ; les 2/3 sont dirigés contre l’infâme ; 5 ou 6 articles
sont purement politiques ; les autres sont des articles philosophiques (à
la gloire des philosophes que Voltaire admire, comme Locke).
Il s’agit de mettre sous forme alphabétique les
arguments que peuvent utiliser les « frères » dans leur lutte contre
l’infâme.
Il va connaître de 1760 à 1771 plus de dix
éditions, qui ajouteront des articles nouveaux.
Voltaire, pour saper l’Église catholique romaine,
s’y attaque indirectement. La méthode de Voltaire, c’est de couper ses racines
à l’infâme. Il va prendre en compte tout ce que l’on sait sur un sujet donné.
Il critique les hébreux, le peuple élu et l’Ancien testament. Sa recherche a un
aspect « scientifique » : il critique, mais en s’appuyant sur
des éléments historiques (c’est l’homme le plus érudit de son temps en la
matière).
Il y a le problème de
« l’antisémitisme » voltairien (anti-judaïsme). On en a parlé à la
Libération, avec Léon Poliakoff, qui a écrit une Histoire de l’antisémitisme. Il a abordé le problème de Voltaire,
mais à partir d’une falsification (des citations de Voltaire coupées de leur
contexte). On a un anti-judaïsme de Voltaire, parfois choquant ; il se
sert, quand cela l’arrange, d’un peuple pour en dénigrer un autre (sa
correspondance ne montre pas franchement de traces d’antisémitisme).
b) Les thèmes du Dictionnaire philosophique.
Il y a des articles portant sur des notions métaphysiques et théologiques
(par exemple, sur l’immortalité de l’âme), des articles philosophiques, et
surtout ce qui constitue la profession de foi déiste de Voltaire. Il y a
plusieurs thèmes :
— La critique des dogmes, ce que le croyant est contraint d’accepter
parce que cela échappe à des explications rationnelles, comme le dogme de la
Sainte Trinité. Voltaire, indigné, est représentatif de tout un courant
important de son temps : le dogme de la Révélation, qui est à abattre
(c’est la source même de l’infâme, de l’intolérance). S’il y a une religion
révélée, il n’y a qu’une seule vraie religion, et toutes les autres, qui en
sont exclues, tombent dans la damnation. Or, un Dieu juste et bon ne peut
condamner autant de monde.
Et pourquoi l’Église ne reconnaît-elle que quatre
Évangiles, alors qu’il y en a d’autres ?
La bête noire de Voltaire, c’est Saint-Paul. Il
va prouver que ses écrits ne sont que des appels au meurtre. L’infâme serait
consubstantielle à la religion catholique. Voltaire prend en considération tout
ce que l’histoire sérieuse de son temps peut lui apprendre. Il a donc une démarche
sérieuse, scientifique. Mais il est aussi polémiste ; il va gauchir du
côté qui l’arrange, avec mauvaise foi et humour (pour mettre les lecteurs de
son côté).
— La critique de toute idée métaphysique (c’est-à-dire de tout ce qu’on
essaie d’expliquer sans avoir les moyens scientifiques, logique, rationnels
pour les faire). Par exemple, le problème de l’existence de l’âme et de son
immortalité, qui est une épine dans le pied de Voltaire. En tant que déiste,
Voltaire n’a pas besoin de l’âme, mais en tant que théiste, il a besoin de son
existence et de son immortalité.
Dans le Dictionnaire
philosophique, c’est la philosophie sensualiste qui l’emporte, avec le
rejet des dogmes et de la métaphysique. Il y a une critique en filigrane de Descartes
et de l’innéisme (les idées innées qu’on n’a pas pu démontrer), d’où une
affinité avec Locke.
— Les articles philosophiques sont moins nombreux. Il y a des références
à la philosophie antique, dont Voltaire se méfie. Voltaire y loue aussi Locke
(cf. articles « Locke » et « Sensualisme »). Voltaire est
meilleur militant que philosophe.
— La profession de foi de Voltaire. Il y a un exposé de la religion
voltairienne (cf. René Pommeau, La
religion de Voltaire), qui n’est pas quelque chose de simple. Tantôt
Voltaire va apparaître comme un Philosophe déiste, tantôt comme un Philosophe
théiste (qui n’est pas indépendant des convictions politiques de Voltaire).
Comment fonder une société viable si l’on nie la question des châtiments, de la
damnation ? Comment rendre les hommes vertueux s’il n’y a pas cette épée
de Damoclès que serait la damnation après la mort ?
Voltaire combat autant l’athéisme qu’il combat
l’infâme, car il n’arrive pas à envisager qu’une société civile, constituée
d’athées, puisse survivre. Il y a le besoin d’une morale.
Voltaire déiste croit profondément en une transcendance,
le Dieu de Newton, c’est-à-dire cette contemplation de l’univers qui persuade
Voltaire qu’il y a une intelligence supérieure qui régit tout (le « grand
horloger »).
Dans Prière
à Dieu, il effectue sa profession de foi déiste. Dieu existe, et tous les
hommes aiment le même Dieu sous des noms différents. Il n’y a pas de religion
révélée dominante, et toutes les religions doivent se respecter (tolérance).
Toutes les religions dérivent de la religion
naturelle, une religion antérieure à toutes les autres, et qui est la même pour
tous les hommes sur cette terre, qui refuse tout dogme, se passe de clergé (la
relation homme-divinité se fait sans médiation, ou alors par le spectacle de
cet univers : « Quand je vois l’ouvre, je vois l’ouvrier »).
Pour les déistes, l’enfer ou le paradis
n’existent pas, et l’âme est donc inutile.
Le problème, c’est que les Lumières ne sont pas
partagées par tous. Voltaire va donc envisager le théisme (cf. articles
« Théiste », « Catéchisme du Chinois », « Catéchisme
du bon curé »). C’est une religion qui n’est pas loin du déisme, car c’est
une religion sans dogmes. Chacun sera libre d’adorer Dieu, la transcendance,
comme il l’entend (ce qui engendre la tolérance). La différence, c’est que le
théisme aura un clergé (cf. article « Catéchisme du bon curé »,
Théotime. Il ne fait pas de métaphysique, et il n’enseigne pas de dogmes. C’est
un guide, un instituteur de vertu, un juriste, un être qui sera là pour assurer
la cohésion et la bonne entente de la communauté). Pour Voltaire, ce théisme
existe (cf. « Catéchisme du Chinois »), c’est le confucianisme, dans
le sens où c’est une spiritualité sans dogmes et sans clergé, tolérante.
— La politique de Voltaire. D’un côté, Voltaire se bat pour la tolérance.
D’autre part, Voltaire occupe dans la société une place qui lui fait défendre
ses intérêts politiques. Voltaire est réactionnaire. Il appartient à la partie
la plus aisée du Tiers-État, riche, mais sans aucun pouvoir.
D’un côté, Voltaire se bat contre l’absolutisme
pour une monarchie tempérée, dans laquelle les hommes de sa trempe auront une
place reconnue (le mérite doit primer sur la naissance).
De l’autre, on a Voltaire propriétaire, M. de
Voltaire, qui redoute que le peuple ne reste pas à sa place. Il montre que ce
monde est divisé en deux, et que la société a besoin de cette fracture pour
fonctionner. Il a besoin d’un peuple laborieux qui reste à sa place et
travaille beaucoup.
Bibliographie:
— L’Abbé Prévost, Manon Lescaut.
— Laclos, Les Liaisons dangereuses.
— Marivaux, Le Paysan parvenu.
— Rousseau, La Nouvelle Héloïse.
L’attitude des français face au roman est très
différente selon le public.
En 1761, on a le premier phénomène de
best-seller, la Nouvelle Héloïse. On
a un engouement pour le roman qui ne va que se renforcer (mais tout de même
moins fort que pour le théâtre), alors que la critique va décrier le roman.
(ex: l’abbé Desfontaines, qui s’est penché sur le roman, écrit en 1735 :
« Le roman, c’est l’œuvre du diable »). Le roman met en péril la
morale ; il est immoral, et il introduit de mauvaises mœurs (il est
surtout condamné par la critique ecclésiastique). On trouve aussi souvent sous
la plume des critiques que le roman, c’est bon pour les femmes. La prose n’a de
valeur que pour exprimer une réalité historique. De plus, le roman n’est pas un
genre (dans la Poétique, d’Aristote,
on trouve comme différents genres la tragédie, la poésie lyrique et la comédie,
mais Aristote n’y classe pas le roman en tant que genre).
Ceci est valable pour le XVII° siècle et la
première partie du XVIII° siècle. Dans la seconde partie du XVIII° siècle
(après 1730-1740), cela va changer. En effet, de grands romans apparaissent. Le
roman va gagner ses lettres de noblesse, notamment grâce à Marivaux (Le Paysan parvenu).
Il y a toujours une condamnation officielle du
roman par l’Église, qui critique la description de la passion : « Le
roman est la coupe empoisonnée de la prostituée de Babylone ».
Le roman va trouver une voie spécifique au milieu
de toutes ces critiques. Il va trouver sa voie dans le réalisme.
Certains, comme Sade, disent que c’est en
montrant la dépravation, le vice, qu’on pourra sauver les cœurs purs. Crébillon
dit qu’il parle de libertinage pour que le lecteur ne tombe pas dedans
(phénomène des préfaces qui expliquent et justifient l’écriture du roman).
Laclos (citant Rousseau) : « J’ai vu les mœurs de ce temps et j’ai
publié ces lettres ».
Bibliographie :
— Marivaux, Le Jeu de l’Amour et du Hasard.
— Beaumarchais, Le Barbier de Séville.
— Beaumarchais, Les Noces de Figaro.
— Le Théâtre au XVIII° siècle
(PUF, Que sais-je ?).
Le XVIII° siècle, c’est le siècle du théâtre par
excellence (l’équivalent du cinéma pour nous : les actrices de théâtre
sont des stars). Paradoxalement, il n’y a eu au XVIII° siècle que deux grands
hommes de théâtre, Beaumarchais et Marivaux (il faut compter aussi
Voltaire, grand dramaturge, qui écrit des tragédies classiques alors que le
genre est en train de mourir, remplacé par la comédie et le drame).
Le théâtre est partout, dans les grandes villes,
mais aussi dans les campagnes (troupes itinérantes).
L’opéra occupe la première place (il appartient
au genre théâtral). Dans les années 1750 a lieu la Querelle des Bouffons ; la France est partagée en deux, d’un
côté les partisans d’un opéra seria
(sérieux), et de l’autre les partisans de l’opéra buffa (italien). Les auteurs se doivent d’écrire des livrets (comme
Voltaire, qui écrira pour Rameau). Rousseau composera son opéra, qui sera
apprécié à l’époque.
La Comédie Française.
Les comédiens y sont pensionnés par le roi, et ne représentent que des
œuvres françaises. Marivaux se verra forcé de proposer ses pièces,
d’inspiration italienne, à d’autres comédiens.
Le théâtre français craint de perdre sa place
prépondérante face au théâtre italien. Il y a une querelle entre les comédiens
français et les comédiens italiens. Les comédiens italiens n’ont pas le droit
de parler sur scène : ils ont alors chanté (opéra comique), puis après une
nouvelle interdiction, cette fois de chanter, ils se sont tournés vers le mime.
Les comédiens sont ceux qui payent
l’auteur ; ils peuvent refuser une pièce (c’est Beaumarchais qui sera à
l’origine du système des droits d’auteur, après ne pas avoir été payé) ;
on a un théâtre français puissant.
Son rival est le théâtre italien, depuis
longtemps, avec la commedia dell’arte,
un théâtre très vivant, très expressif, avec des personnages-types, et une
réelle occupation de l’espace scénique (les français n’avaient pas l’idée de la
mise en scène jusqu’à Beaumarchais et Le
Mariage de Figaro ; les nobles sont sur la scène, les acteurs sont en
costume de ville...). Marivaux sera le premier à chercher à mettre en scène
réellement une pièce (il écrira autant de pièces pour le théâtre français que
pour le théâtre italien). Le théâtre italien a influencé tous les dramaturges
français (même pour Le Mariage de Figaro,
qui contient des références à l’Espagne).
Le théâtre se joue dans différents lieux :
— À la cour. Le roi commande les pièces (comme pour Molière,
avec Louis XIV). Par exemple, Marie-Antoinette tiendra le rôle de Rosine dans
le Barbier de Séville, devant la
cour.
— Le théâtre de société. Tous ceux qui ont de l’argent construisent leur
propre théâtre dans leur propriété et y font jouer des pièces — quand ils n’y
jouent pas eux-mêmes (comme Voltaire à Ferney).
— Le théâtre de foire. Dans toutes les grandes villes, sur le parvis
des églises, on représente des pièces pour tout public, dans ce que l’on
appelle des « parades ». Elles sont très souvent assez grivoises, et
critiques à l’égard du pouvoir en place.
I - MARIVAUX (1688-1763)
C’est un polygraphe. Il a écrit deux grands
romans (Le Paysan parvenu et La Vie de Marianne), c’est un journaliste
(le seul de son journal !), un homme de théâtre également.
De son nom vient le terme de marivaudage. C’est un terme très péjoratif au XVIII° siècle (ce
terme existe déjà du vivant de Marivaux). Voltaire : « C’est une
métaphysique du cœur » (mot très péjoratif pour lui) ; il dira aussi
que l’art de Marivaux consiste à « peser des œufs de mouche avec des
balances en toile d’araignée ». Il réduit Marivaux à un théâtre qui prend
pour thème la complication subtile du sentiment amoureux. Le terme de marivaudage
est resté péjoratif pendant presque tout le XIX° siècle ; il aura fallu
attendre les années 1950 pour que Marivaux soit rejoué. La thèse de Frédéric de
Deloffer : Marivaux et le
marivaudage, une préciosité nouvelle, réhabilite le marivaudage. Certes,
c’est un badinage amoureux, mais cela n’exclut pas une forme de gravité qui met
en péril ceux qui se livrent à ce marivaudage.
Marivaux a écrit deux types de pièces : des
pièces italiennes, qui sont le plus jouées (comme Le Jeu de l’Amour et du Hasard) ; mais aussi des pièces
allégoriques, à contenu politique et social (des drames, réservés aux français).
Le Jeu de l’Amour et du Hasard.
Marivaux est un novateur dans sa vision des rapports sociaux (surtout
amoureux). Nous sommes au XVIII° siècle, et le statut de la femme est en train
de changer. Les héroïnes se prennent en charge.
L’héroïne de Marivaux veut donc, avant de se
marier, savoir à quoi s’en tenir. Silvia, une jeune fille noble, riche, va
rencontrer le fiancé que son père lui a destiné. Pour mieux l’observer, elle
décide de se travestir en servante, et prend la place de sa servante, Lisette,
et Lisette prendra la place de sa maîtresse. Le hasard fait que le fiancé, Dorante,
fait la même chose, et échange sa place avec Arlequin, son valet ! Le père tire les ficelles, étant au courant
des deux stratagèmes.
C’est la crise nuptiale, propre à Marivaux :
les personnages, face à l’amour et au mariage, se trouvent dans une période de
grands troubles, au bord d’un déséquilibre profond, qui amène à l’interrogation
« où en suis-je ? » (les personnages perdent leurs repères).
Silvia pénètre dans le monde des serviteurs, un univers nouveau qui la déstabilise.
Elle s’aperçoit que ses serviteurs sont des êtres humains ; elle va
détester le faux maître et tomber amoureuse de Dorante, le faux serviteur. Le
problème, c’est : comment une fille noble peut-elle épouser un simple serviteur ?
Silvia ne sait plus où elle en est jusqu’à l’acte IV, Dorante non plus. Mais
Silvia découvre le stratagème, et elle joue au chat et à la souris avec
Dorante, jusqu’aux aveux de la fin. C’est une comédie, et elle se termine donc
bien.
Le marivaudage, c’est donc l’alliance du badinage
et du grave.
II - BEAUMARCHAIS (1732-1799)
Avec Beaumarchais naît le drame. Il a écrit une
trilogie composée de deux comédies (Le
Barbier de Séville et Le Mariage de
Figaro), et d’un drame (La Mère
coupable).
Ses deux comédies lui ont valu une renommée
internationale ; mais elles n’entrent absolument pas dans ses conceptions
esthétiques.
Au XVIII° siècle, la comédie molièresque ne fonctionne
plus, le public s’en est lassé. La tragédie est en train de mourir (la tragédie
classique est morte avec Racine), même si Voltaire s’y essaie encore. On
recherche des formes nouvelles pour le théâtre. Ce sera le drame, sous
l’impulsion de Diderot (Le Fils naturel
en 1757 ; Le Père de famille en
1758). Contrairement à la tragédie (où les personnages sont de haut lignage et
où le peuple n’est pas représenté), Diderot veut donner un théâtre didactique :
il faut enseigner la vertu au peuple (et donc faire monter des personnages du
peuple sur scène) : c’est le genre dramatique sérieux (le XVIII° siècle
est hanté par la vertu). Beaumarchais va accorder bien plus d’importance à ce
genre, et il va tenter de fonder le drame sur les idées de Diderot.
Ce dernier a développé ses idées dans Entretiens avec Dorval, en 1757. Il part
de la critique des formes théâtrales antérieures (tragédie et comédie), et il
va leur faire des reproches, qui sont ceux de tous ses contemporains :
— la tragédie représente un milieu social qui n’est pas celui des
spectateurs, et qui donc ne lui est pas adapté. Elle est condamnable, car elle
met l’accent sur la fatalité, sur des personnages immoraux (alors que le genre
dramatique sérieux doit avoir une portée morale, édifiante).
— la comédie est immorale : elle fait des fripons des personnages
sympathiques. Il n’y a pas de vraie morale dans la comédie.
On recherche donc un nouveau genre. Pour Diderot,
ce sera le drame bourgeois. On y
pleure (la vertu fait pleurer ; on pleure de ce qui arrive à ces
bourgeois). Il faut une morale, il faut établir un rapport entre le spectateur
et le sujet de la pièce par une « peinture touchante d’un malheur de
domestique ». Le genre dramatique doit peindre des conditions sociales.
C’est un théâtre qui devra être écrit en prose,
car c’est la forme de langage la plus proche de la nature. Diderot pense que
l’art dramatique a une mission, qui est de montrer les troubles du temps, le
désordre dans les familles, pour éclairer les spectateurs et revenir à une
harmonie.
Beaumarchais va reprendre les idées de Diderot
dans son Essai sur le genre dramatique
sérieux, et les amplifier. On va abandonner les sacro-saintes règles
dramaturgiques des unités (critique du théâtre classique), ou du moins on va
essayer (dans Le Mariage de Figaro, ou la folle journée, l’action se passe
en 24h...). Beaumarchais rejette la tragédie encore plus que Diderot :
« La tragédie dégrade l’homme en lui ôtant la liberté, hors laquelle il
n’y a nulle moralité dans les actions ».
Il faut amener sur les planches des personnages
nouveaux, qui appartiennent à la couche active de la nation (bourgeoisie).
Le théâtre doit être exemplaire et nous présenter
une moralité, atteinte dans le genre dramatique sérieux par
l’attendrissement : « L’attendrissement est supérieur au rire. Si le
rire bruyant est ennemi de la réflexion, l’attendrissement, au contraire, est
silencieux ». L’attendrissement est donc du côté de la réflexion.
La trilogie :
a) Le Barbier de Séville.
On y retrouve tous les éléments de la comédie traditionnelle. « Je
veux revenir à l’ancienne et franche gaieté de la comédie ».
b) Le Mariage de Figaro.
Il y a un changement, et un succès de scandale (Louis XIV, sur les
conseils de ses censeurs, a fait interdire la pièce (le valet Figaro prenant le
dessus et bernant le comte)... d’où son succès !). Il y a des éléments
nouveaux : c’est un couple de valets qui mène la danse (et encore plus,
c’est Suzanne, une femme, qui la mène bien plus que Figaro...) ; dans les
comédies de Molière, le valet est dévoué à son maître, il n’est là que pour
servir le jeune noble.
Toutefois, Le
Mariage de Figaro reste une comédie.
c) La Mère coupable.
On sort de la comédie. Beaumarchais revient au genre dramatique sérieux,
et déclare qu’il n’aurait jamais dû le quitter.
L’action se passe vingt ans après le second
volet, et on a un univers larmoyant. L’accent est mis sur la culpabilité
féminine.
Bibliographie :
— Rousseau, Les Confessions (Livres I à VI).
— Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes.
— Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire.
I - SA VIE
Chez Rousseau, tout repose sur l’idée d’état de
Nature. Il faut considérer sa biographie en voyant comment cette vie est
remplie d’œuvres, très fortement liées à sa vie.
NB : Lorsque l’on parle du romancier et autobiographe,
on l’appelle par son prénom, Jean-Jacques.
« Je coûtais la vie à ma mère ».
(premiers mots des Confessions). Sa
mère meurt en couches, et Rousseau se retrouve orphelin dès la naissance ;
c’est à l’origine d’un traumatisme, chez lui. Tout un mouvement de sa pensée
(comme le mythe du paradis originel) est une tentative pour masquer ce traumatisme
des origines.
Nous vivons tous un traumatisme en quittant
l’état de Nature et en passant au social.
Rousseau est genevois (il vient de la République
de Genève) et protestant.
C’est un autodidacte. Son père est horloger, et
jusqu’à 16 ans, il ne fait pas d’études. Il lit énormément, sa mère disposant d’une
bibliothèque fournie (le « vice impuni de la lecture »). De son
origine paysanne, il garde un certain malaise en société. Il va fuir la
République de Genève, car elle a un gouvernement théocratique, avec ses
pasteurs ; c’est une ville sévère : les théâtres, les spectacles, la
danse et la musique (sauf sacrée) sont interdits.
Il va en Savoie (une terre de mission, où
beaucoup fuient, et qui recueille les protestants en tentant de le convertir au
catholicisme). Il a 16 ans, et il erre dans la région ; il est recueilli
par un brave curé savoyard (le curé de Pontverre, chargé des conversions). Ce
dernier va le convertir au moyen d’une bonne table, plutôt qu’avec des
arguments théologiques. Il va aiguiller Jean-Jacques vers Mme de Warens, une
aventurière suisse ayant elle aussi fuit Genève en laissant son mari sans rien
(elle a tout pris avec elle). Elle rencontre le roi de Sardaigne, et obtient de
lui une pension, à charge pour elle de catéchiser les jeunes genevois qui
s’échappent de Genève — bien qu’elle soit piétiste.
Elle va envoyer Jean-Jacques à Turin, la capitale
de la Savoie, où il sera baptisé et catéchisé (ce sera le première rencontre de
Rousseau avec la musique italienne). Rousseau va donc devenir catholique (pour
récupérer son titre de citoyen de la République de Genève, il se reconvertira
vers 1750).
Entre 1740 et 1742, Rousseau va quitter Chambéry,
et cela fait son malheur. Il quitte le paradis terrestre des Charmettes pour
monter à Paris, à pied.
Il va entrer dans le
clan des Philosophes, avec Diderot. Jusqu’en 1750, Rousseau va être du clan des
Philosophes. Il va travailler dans l’Encyclopédie
(articles « Genève », « Économie Politique »,
« Musique »...), et prendre parti pour les italiens (buffa).
En 1749, c’est l’illumination de Vincennes. Diderot
est alors en prison pour l’Encyclopédie,
et il est enfermé au donjon de Vincennes. Rousseau va voir son ami tous les
jours, à pied. Et en marchant, il lit. Dans la Gazette de Dijon, l’Académie de Dijon organise un concours, dont le
sujet est : « Est-ce que les arts et les lettres ont été utiles au
développement de l’humanité ? ». L’Académie s’attendait à un
« oui » évident. Depuis le XVI° siècle, il y a des assemblées de
notables qui se réunissent pour débattre de choses sérieuses (Académies), et qui
chaque année proposaient des sujets de dissertation, dont le
« gagnant » était récompensé. Rousseau obtiendra, en 1750, le premier
prix, avec son Discours sur les sciences
et les arts (c’est le « Premier Discours »).
C’est lors de l’illumination de Vincennes que
Rousseau voit en une fois apparaître tout son système philosophique. Le
problème, c’est que ce système va prendre le contre-pied des autres
Philosophes : le social est le mal absolu, l’homme se dénature dans la
société et il va à sa perte. Du jour au lendemain, Rousseau est célèbre.
En 1755, l’Académie de Dijon propose un deuxième
sujet de dissertation. Rousseau va donc écrire son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes (le « Second Discours »), où il commence à développer sa
pensée politique.
« L’homme est né libre, et partout il est
dans les fers ». Pour comprendre, on a besoin de remonter à l’origine des
choses. Rousseau va se refaire une nouvelle histoire de l’humanité. Aux
origines, l’homme vivait dans l’état de Nature. C’est un état mythique, qu’on
ne connaîtra jamais, dans lequel l’homme est heureux, parce qu’il est libre.
Mais les hommes vont vivre en société (passage de l’état de Nature à l’état
Civil).
L’idée d’un état de Nature n’est pas une idée que
Rousseau invente. On la retrouve dans la philosophie antique païenne, et on va
la retrouver au XVI° siècle.
Hobbes et Locke sont deux théoriciens de l’idée
d’état de Nature :
— Hobbes pose un état de Nature avant les sociétés. Mais c’est en fait un
état de Guerre (l’homme est un loup pour l’homme). L’humanité, dans l’état de
Nature, ne peut que se détruire, d’où le passage à l’état Civil. Mais il faut
maintenir les hommes par la force dans cet état Civil (on a donc la
légitimation d’un pouvoir fort).
— Locke, lui, pose un état de Nature dans lequel l’homme est heureux.
Néanmoins, l’humanité va passer à l’état Civil, car il est supérieur à l’état
de Nature.
Rousseau va tout reprendre dans son second
discours. Il va d’abord critiquer Hobbes radicalement. Pour lui, l’état de
Nature, c’est un état de bonheur et de liberté.
Rousseau va aussi critiquer tous ses collègues
Philosophes. C’est dans l’état Civil, le social, la société, qu’est l’état de
Guerre, c’est là que l’humanité va à sa perte. Le problème que se pose
Rousseau, c’est : que faire ? Car si on laisse l’homme se dénaturer,
l’humanité va à sa perte. Toutefois, on ne peut pas faire marche arrière.
Après 1755 et jusqu’en 1761 (date de l’exil de
Rousseau), Rousseau va faire sa « réforme », et quitter Paris pour
Montmorency, afin de mettre sa vie en conformité avec ses idées. L’homme se
dégénère, l’humanité court à sa perte. Le problème, c’est comment régénérer (renaturer) l’homme contemporain ?
Rousseau donne sa réponse. C’est, en 1761, la
parution simultanée de l’Émile et du Contrat social. Il s’agit de trouver un
système politique dans lequel on se rapproche le plus possible de l’état de
Nature (c’est-à-dire être le plus libre qu’il est possible de l’être). D’où
aussi la nécessité d’un homme nouveau : l’Émile.
Rousseau est sur le point d’être emprisonné pour
ces deux écrits. Le chef de la censure royale, Malherbes, le prévient. Rousseau
s’enfuit alors, d’abord à Genève. Mais ses deux œuvres condamnées le sont
là-bas aussi.
Voltaire fait paraître Le Sentiment des citoyens, où il révèle que Rousseau a abandonné
ses cinq enfants (dernière phrase : « cela mérite la peine
capitale »). Rousseau est marié avec Thérèse Levasseur depuis ses débuts à
Paris ; elle est quasiment analphabète. Ils ont eu 5 enfants, abandonnés
aux « enfants trouvés », car Rousseau a été pauvre toute sa vie et
n’aurait pas pu s’occuper d’eux (il essaiera à la fin de sa vie de les
retrouver, mais sans succès).
Rousseau va se rendre sur le lac de Bienne, à
l’île Saint-Pierre (cf. la cinquième Rêverie...).
Ensuite, il est accueilli en Angleterre par le philosophe Hume, mais il va se
fâcher avec lui et il va rentrer clandestinement à Paris, où il sera toléré. Il
réside rue Platrière, et il vit en copiant de la musique.
En 1778, il est accueilli par le marquis de
Girardin, où il va écrire ses Rêveries
d’un promeneur solitaire, et mourir, le 2 juillet 1778.
II - L’UNITÉ DE LA PENSÉE DE ROUSSEAU
Quel que soit le genre des œuvres que Rousseau a
écrites, il y a une unité de pensée. Il s’agit d’un véritable système, dont
l’idée centrale est celle d’état de Nature.
Chez les penseurs politiques, les Philosophes, on
a l’idée qu’il aurait existé un état préalable à l’état Civil (un état social,
civilisé). Le problème, c’est : est-ce qu’il y a un état préférable à
l’autre (toujours en conservant l’idée de bonheur) ? Deux philosophes sont
important sur ce point : Hobbes et Locke (voir plus haut).
Rousseau renverse totalement les idées de Hobbes.
Pour lui, l’état Civil, c’est le mal absolu, la dénaturation. Si l’homme
continue ainsi, c’est dans l’état Civil que l’humanité va à sa perte. Comment
stopper cette course à la dénaturation ?
Rousseau ne prêche pas un retour à l’état de
Nature. On ne sait pas s’il a existé, et de toute façon, l’Histoire ne revient jamais
en arrière. L’état de Nature est une hypothèse pour essayer de comprendre
l’évolution de l’homme, et un idéal dont il faut tenter de se rapprocher le
plus qu’il est possible. Pour cela, il faut concevoir une cité nouvelle, et
concevoir également un citoyen (et non plus un sujet) qui aurait la plus grande
liberté possible.
Dans l’état de Nature, l’homme naturel est
parfaitement heureux, car il est totalement libre. Il y a plusieurs hommes
naturels (car la pensée de Rousseau évolue) :
— L’homme naturel n°1, c’est celui du premier Discours. Il est très proche de l’animalité, solitaire, il a peu de
besoins et peu de désirs (la faim, la femelle — pour perpétrer l’espèce
seulement). C’est quand même un humain, mais qui a une « intelligence
bornée » (c’est un de ses malheurs). Il est animé par deux passions
(instincts) : l’amour de soi et la pitié. L’amour de soi n’est pas
l’amour-propre (ce qui le détruit), mais l’instinct de survie. L’amour de soi
s’accompagne de la pitié (le respect de ses congénères). Il est également
dépourvu de sociabilité (le désir de se regrouper en société), et c’est sur ce
point que Rousseau se démarque des autres Philosophes (comme Voltaire).
Pourquoi cet homme naturel, non sociable, passe-t-il à l’état social, le mal
absolu ? C’est parce qu’il est doté d’autre chose que la
sociabilité : il est doté d’une intelligence et de la perfectibilité (cf.
deuxième partie du Discours).
— L’homme naturel n°2 apparaît dès le deuxième Discours. C’est un homme naturel qui évolue, et c’est celui qui va
finir par passer à l’état Civil.
— L’homme naturel n°3, c’est celui qui est opposé à l’homme civil, à
« l’homme de l’homme » (la pensée de Rousseau fonctionne de façon
binaire, par oppositions). Il renvoie à la notion de perversion et
d’asservissement.
— L’homme naturel n°4, enfin, c’est Rousseau lui-même, qui va essayer
de se conformer à cet idéal de l’homme naturel.
L’homme civil, c’est « l’homme de
l’homme », un homme produit par l’homme, et il est dénaturé. La première
des deux passions qu’il va perdre, c’est l’amour de soi, qui va se transformer
en amour propre. Être se transforme en paraître, et c’est le premier des maux
de l’homme civil, qui arrive à ne plus vivre que dans le regard des autres. Il
a besoin d’être admiré, et il vit complètement dans son extérieur. Il a perdu
tout ce qui faisait son humanité. Il rentre dans des rapports de domination
faibles-forts, et perd donc ainsi sa liberté (même le fort). C’est un homme
asservi, qui a perdu toute forme de vertu. Il a aussi perdu le deuxième instinct,
qui est la pitié pour les autres. Une opposition se forme : celle entre le
sujet, l’esclave, et le citoyen, l’homme libre autant qu’il est possible de
l’être (Hobbes est totalement renversé).
L’homme naturel va passer à l’état Civil par des
étapes intermédiaires. L’homme de Rousseau n’est pas sociable, mais il est
perfectible. Il va rencontrer des difficultés, et il va donc s’adapter à son
environnement, il va tenter de l’améliorer. Petit à petit, il va inventer des
outils (c’est le premier de ses malheurs). Les hommes vont s’assembler en
familles, c’est la phase des cabanes. Les familles sont encore oisives. On y
chante (importance de la musique pour Rousseau). Petit à petit, on cherche à
être le meilleur et obtenir la première place, on va se donner des chefs. On va
finir, par une suite de hasards, par s’assembler en nations.
On fait deux découvertes : l’industrie et
l’agriculture. C’est une première division du travail, alors que l’homme
naturel se suffisait à lui-même. Les hommes deviennent dépendants les uns des
autres, et des rapports de domination s’instaurent.
Le problème, c’est de trouver le moyen, tout en
étant des hommes civils, de se rapprocher le plus possible de l’état de Nature,
et se doter de la plus grande liberté possible. Pour Rousseau, Emile est donc
un « sauvage des villes ». (NB : l’homme naturel, pour Rousseau,
ce n’est pas le mythe du bon sauvage de Diderot. L’homme naturel n’a jamais
existé, c’est une hypothèse).
III - LE CONTRAT SOCIAL
Il faut repenser radicalement notre société et le
système politique, construire une cité idéale qui permettra à l’homme civil
devenu citoyen (et donc libre) d’avoir le plus de liberté possible.
Rousseau constate que la société civile repose
sur la notion de contrat. Dans une société civile, il y a deux parties :
le pouvoir et ceux qui y sont assujettis.
Pour Hobbes, il y a un contrat, mais c’est un
contrat de dupes, un contrat de soumission. Le prince détient le pouvoir absolu
(il protège ses sujets d’eux-mêmes, mais en échange ils lui doivent une
obéissance absolue). Il n’y a qu’une seule partie qui tire profit du contrat.
Chez Locke, on a la théorie du double
contrat : les deux parties doivent être bénéficiaires (le pouvoir est respect‚
d’un côté, et la liberté assurée de l’autre). Mais le problème chez Locke,
c’est qu’il ne va pas au bout de sa pensée.
Rousseau va donc chercher un double contrat, un
contrat d’association et non de soumission. Une association entre les citoyens
et le magistrat, lequel est révocable et qui a pour seule charge de mettre en
forme les lois. La solution de Rousseau, c’est la théorie de la volonté générale,
qui va permettre de préserver ce contrat d’association. Pour Rousseau, les
notions de majorité ou de minorité n’existent pas. La volonté générale n’est
pas la volonté d’une majorité sur une minorité, c’est la volonté de l’ensemble
des citoyens (il y a une bonne part d’utopie dans tout cela, mais la démocratie
s’en est quand même inspirée).
Dans la société du contrat social, ne pourront
être appliquées que les lois qui seront décidées par tous les citoyens. Il
suffit qu’un seul citoyen soit contre, et la volonté générale est rompue (d’où
sa fragilité). Chaque loi doit être l’émanation de la volonté de tous sans
exception. Le magistrat sert à mettre en forme ces lois et à les faire respecter.
Si ce magistrat ne respecte pas cela, il y a
rupture de contrat, et la révolte est donc légitime.
Dans la volonté générale, on ne peut pas
retrouver la liberté naturelle : chacun est limité par l’autre. Mais tout
ce qui ne va pas à l’encontre de la volonté générale, je suis entièrement libre
de le faire.
Attention ! Ne pas faire de Rousseau un
tyran (fausses interprétations de Robespierre, Fidel Castro), ni en faire le
plus grand des démocrates, tout n’est pas rose dans la cité du Contrat social (ex: l’athée doit être
mis à mort).
Le Contrat
social est une des plus grandes ouvres politiques du XVIII° siècle, et le
fondement de nombreuses démocraties. Il faut donner à la loi un caractère sacré
pour la faire respecter (besoin de la religion civile). Mais le citoyen doit
être aussi éduqué, car il n’y a pas de volonté générale sans éducation :
il faut penser un homme nouveau...
IV - L’ÉMILE,
traité d’éducation.
L’Émile
n’est pas un trait‚ de pédagogie. Il ne s’agit pas de donner des recettes pour
bien élever les enfants, mais de voir comment l’on peut fabriquer le citoyen de
la cité nouvelle, celle du Contrat social.
Rousseau fait remarquer que l’enfant n’est pas un sous-homme, mais qu’il est un
homme différent, en développement.
Sous l’Ancien Régime, l’enfant n’intéresse pas
(cf. Philippe Ariès, L’Enfant sous
l’Ancien Régime). L’individu n’intéresse que quand il devient adulte. Rousseau
est le premier à s’insurger contre ça, au nom de la nature.
Il va quand même donner quelques « trucs »
pédagogiques (allaitement des enfants par leur mère — pour l’amour maternel —,
conseil de ne pas emmailloter les bébés, conseils sur l’apprentissage de la
lecture...).
L’idée, c’est de fabriquer un homme qui soit
capable d’être libre (on le « forcera à être libre »), et qui soit en
même temps capable d’assumer la volonté générale. Il s’agit de faire un
« sauvage des villes ».
La première phase, c’est l’éducation négative. On
laisse faire la nature, afin qu’il acquière les qualités de l’homme de la nature
(force, courage...) et devienne un être autonome. Ce jeune noble va aussi
apprendre un métier manuel (charpentier, par exemple).
Rousseau ne condamne pas la propriété privée qui
est le fruit du travail ; celle-là est sacrée. Mais la propriété privée de
l’Ancien Régime est une injustice.
On va apprendre à Émile à respecter la loi. Il
n’a, étant adolescent, jamais entendu parler de Dieu. On attend que sa raison
se soit formée avant. Cf. le livre IV de l’Émile,
« La Profession de foi du vicaire savoyard ». Rousseau y fait sa
profession de foi déiste (que Voltaire apprécie), avec quelques contradictions
toutefois : il considère J.-C. d’essence divine ; il est persuadé de
l’immortalité de l’âme, et qu’il y a une punition ou une récompense dans l’au-delà.
Lorsque l’âme se souviendra (car elle a une
mémoire) de ses actes passés mauvais, elle souffrira (mais cela ne dure
qu’un temps, à cause de l’influence piétiste : les châtiments éternels
n’existent pas).
Rousseau s’inquiète. En effet, le déisme reste la
religion de ceux qui sont déjà éclairés, et qui savent se forger une
morale ; il condamne l’athéisme. Il rajoute donc au Contrat social un chapitre (« De la religion civile »),
car la cité a besoin d’une religion, du fait du caractère sacré de la loi
(c’est la religion civile, celle des cités antiques, où religion et civisme
étaient liés). Chacun des citoyens doit être convaincu que la loi a un
caractère sacré, et s’y conformer. L’athée y est mis à mort (la fragilité de la
volonté générale le demande : mieux vaut la mort d’un athée que la mort de
l’humanité). À Genève, c’est toujours la règle.
On a reproché à Rousseau cette contradiction, car
« l’athée doit être mis à mort », alors que Rousseau prêche la
tolérance dans « La profession de foi du vicaire savoyard ». Mais du
point de vue de la tolérance, il n’y a pas de contradiction : la religion
civile n’intervient que pour le respect de la loi et la stabilité de la cité.
Après cela, chacun, dans la cité, est libre d’adorer Dieu comme il l’entend
(tant qu’il n’est pas athée).
Chacun doit se conformer à la « religion des
pères » (la religion dans laquelle nous avons été élevés), pour éviter les
guerres de religion (le problème semble alors résolu par Rousseau).
V - LES AUTOBIOGRAPHIES
Cf. Pléiade, tome I.
— 4 Lettres à M. de Malsherbes (des « pré-Confessions »), où Rousseau essaie de se justifier de ses
accusations.
— les Dialogues, ou Rousseau
juge de Jean-Jacques. C’est une période où Rousseau va très mal, il souffre de
paranoïa, et il sent le besoin de se justifier. Il dialogue avec lui-même. Il
va se rendre à Notre-Dame de Paris dans l’intention de déposer son manuscrit
sur l’autel, mais il trouve les grilles fermées, et il sent que même Dieu est
contre lui.
— Les Confessions.
— Les Rêveries du promeneur solitaire.
1) Les Confessions.
Rousseau commence à les écrire dans les années
1760, et il continuera à les écrire jusque dans les années 1770. Pourquoi
écrit-il ces confessions ? Il ne faut pas confondre les causes immédiates
et les causes profondes. Il y a deux causes immédiates :
— Rousseau est pressé par les libraires (éditeurs) qui lui demandent
d’écrire ses confessions.
— Il y a aussi le libelle de Genève (Le
sentiment des citoyens). Rousseau n’a pas compris qu’il est de Voltaire, et
il croit que le libelle vient de Genève même. Cette attaque le touche beaucoup.
Mais il y a des raisons profondes. LA raison essentielle, c’est l’unité de
la pensée de Rousseau. Il y a une autre raison : Rousseau est un homme
âgé, et l’écriture des six premiers livres des Confessions est un véritable bain de jouvence.
Dans Paris, on sait très vite que Rousseau écrit
ses confessions, et on en a peur. On essaie d’obtenir du chef de la censure
royale l’interdiction de la publication des Confessions
(d’où la paranoïa de Rousseau, visible dans les six derniers livres des Confessions).
Les Discours
de Rousseau l’ont rendu célèbre. Son système philosophique est complet, achevé.
Mais il éprouve le besoin de mettre sa vie en accord avec ses idées (il quitte
donc Paris). Il lui faut montrer au monde (ses collègues Philosophes) qu’un
homme selon la nature, cela peut exister. Il veut montrer un homme selon la
nature : « Cet homme, ce sera moi » (attention aux commentaires
des ennemis de Rousseau, qui ne voient là que de l’orgueil — alors que Rousseau
lui-même condamne l’amour-propre). Rousseau est persuadé qu’il a réussi à se
mettre en conformité avec sa pensée. Il pense qu’il doit faire don de sa
personne aux autres. Le but des Confessions,
c’est de montrer qu’un homme civil peut redevenir autant qu’il est possible de
l’être dans l’état Civil un homme de la nature. Il veut montrer à ses
contemporains qu’il est possible de se rapprocher de l’état de Nature.
Rousseau va essayer de montrer que le
« paradis » (perdu) n’a fait que se dénaturer. En se montrant
lui-même, il montre la similitude entre le destin de l’humanité et son destin
propre. Mais est-ce que Rousseau ne transforme pas sa vie pour faire coïncider
ces deux destins ? Cela pose le problème de la sincérité de Rousseau, et
de l’ajout de quelques « ornements ». Dans les Confessions, ce n’est pas la mémoire qui est première ; ce qui
est premier, c’est la sensation, le sentiment. Rousseau est « sûr de ce
qu’il sent » (profession de foi sensualiste) ; ce qu’il a senti hier,
il le sent aujourd’hui de la même façon. Il y a une reviviscence, une identité
de sensation. Les six premiers livres des Confessions
sont les sensations du vieil homme revivant à l’identique ce qu’il a vécu dans
sa jeunesse.
L’identité du destin de l’humanité et de celui de
Rousseau a un point commun : le mythe. Le mythe des origines, du paradis
perdu. Il y a une obsession des origines chez Rousseau : « J’ai
toujours besoin de revenir aux racines des choses ». Le mal est au début
de sa vie, dans l’origine même : « Je coûtai la vie à ma mère, et ma
naissance fut le premier de mes malheurs ». C’est LE traumatisme par
excellence. Plusieurs critiques (comme Starobinski) pensent que la vie entière
de Rousseau a été une tentative désespérée pour masquer ce mal originel, ce traumatisme.
Le premier paradis perdu, c’est Bossey. Le père
de Rousseau s’est disputé, à Genève, et Rousseau est obligé de fuir.
Jean-Jacques est confié à un pasteur, à Bossey.
Le deuxième, c’est les Charmettes (un mythe-écran
qui lui sert à effacer certaines choses, dont son traumatisme) :
« Ici commence le court bonheur de ma vie ».
Ce paradis perdu est conforme à l’état de Nature,
car il est séparé des villes : c’est le lieu des origines, de la nature.
Mais Rousseau va passer d’un état heureux (les Charmettes) à un état de malheur
(Paris).
Est-ce que Rousseau a enjolivé tout cela ?
A-t-il vraiment été heureux aux Charmettes ? Oui. Mais il a reconstruit sa
vie aux Charmettes en se constituant un mythe-écran. Il a eu des moments de
détresse là-bas. Mme de Warens, « maman », est une aventurière, qui a
dépouillé son mari, et elle est rarement avec Rousseau les deux dernières
années de son séjour (cf. Jean Guéhenno, Jean-Jacques
Rousseau, histoire d’une âme, avec la fausse idylle des Charmettes).
Les Confessions sont modernes. Rousseau choisi de
« tout dire », il ne veut rien nous cacher d’essentiel (il confie sa
propre sexualité, une analyse relevant de la pré-psychanalyse. Rousseau a ici
une intuition de la psychanalyse). C’est la première fois que l’on prend pour
objectif de tout dire, aussi bien le bonheur que le « labyrinthe fangeux »
des confessions.
Si Rousseau commence à rédiger ses Confessions avec optimisme, cela va
devenir différent par la suite (les six derniers livres — sauf le douzième —
contiennent une certaine amertume).
2) Les Rêveries du promeneur solitaire.
Elles ont été rédigées durant les deux dernières
années de la vie de Rousseau chez le marquis de Girardin. C’est une façon pour
Rousseau de se montrer à lui-même, de faire le bilan de ce qu’il a été. Elles
ont été écrites pour qu’il renouvelle ce qu’il a éprouvé en écrivant les six premiers
livres des Confessions, mais cette
fois, pour lui seul. Le ton est différent de celui des Confessions. « Me voici seul maintenant sur la Terre ».
Dans son esprit de solitude, Rousseau trouve enfin cet état de Nature (la
solitude est l’état de l’homme naturel).
C’est Rousseau le plus pur, débarrassé de tout ce
qui l’entravait dans la vie, parvenu à l’idéal de l’homme naturel.
VI - LA NOUVELLE HÉLOÏSE
C’est un roman épistolaire (genre le plus
populaire au XVIII° siècle, avec la recherche de la vraisemblance), devenu
difficile à lire de nos jours. Ce fut un best-seller à l’époque.
C’est une histoire d’amour entre une jeune noble,
Julie, et son précepteur, Saint-Preux. Ils sont séparés, ce qui justifie les
lettres, dans lesquelles on va retrouver toutes les idées de Rousseau. C’est
par le biais de la Nouvelle Héloïse
que les idées de Rousseau vont se répandre. Saint-Preux fait le même chemin que
Rousseau (avec le paradis perdu, entre autres).
Notes :
— Le piétisme est la recherche d’une vision souriante de la religion.
Par exemple, Mme de Warens a évacué l’enfer.
— Le déisme se place en dehors des religions instituées. C’est avant
tout la religion des Philosophes, la religion de Voltaire.
— Le théisme, c’est la religion intermédiaire entre les Églises
constituées et le déisme pur, aménagée pour le peuple.
Bibliographie :
— Diderot, Le Neveu de Rameau.
— Diderot, Supplément au voyage de Bougainville.
C’est un homme qui s’intéresse à la musique, à
l’art (c’est un des meilleurs critiques d’art de son temps). C’est un
romancier, un théoricien, il est formé aux sciences et à la réflexion
politique. C’est aussi un homme de théâtre...
I - L’HOMME DE L’ENCYCLOPÉDIE
L’Encyclopédie
a été écrite de 1750 à 1778. C’est la somme de toutes les connaissances
humaines de l’époque, et le signe de ralliement de l’esprit des Lumières, une
œuvre de combats, notamment en théologie — d’où des problèmes de censure (cf.
l’article « Dieu », où tout ce qui est dit est réfuté en notes).
L’Encyclopédie
a une diffusion très large pour l’époque (4000 souscriptions), malgré son prix
(l’Encyclopédie complète coûte un an
de salaire pour un bourgeois aisé).
Après 1760, l’Encyclopédie
sera un travail clandestin à cause de sa condamnation par le pape en 1763. Des
athées militants, en effet, s’y expriment (ainsi que des déistes).
C’est un peu l’Encyclopédie qui va répandre le sensualisme (avec des articles
écrits par Voltaire, notamment sur Locke).
C’est un résumé de tout l’esprit des Lumières. Y
a-t-il un message dans l’Encyclopédie ?
Tout dépend de la façon dont on la lit. Si on sélectionne les articles, l’Encyclopédie véhicule la pensée critique
des Lumières (l’informatif en lui-même ne véhicule aucun message). Dans les
années 1770, certains Philosophes vont cesser d’y participer (comme
Voltaire ; c’est un ouvrage peu maniable).
II - UN THÉORICIEN DU THÉÂTRE
Diderot est un mauvais auteur de théâtre, mais il
aura une grande influence sur ses contemporains (notamment sur Beaumarchais).
Il y a trois aspects :
— Paradoxe sur le comédien
(réflexion philosophique sur le métier de comédien).
![]() |
— Diderot auteur de théâtre (ennuyeux, mais capital pour l’évolution du genre théâtral, avec le drame bourgeois, qui influencera tout le théâtre jusqu’au XIX° siècle).
— Les idées de Diderot théoricien.
Il y a l’exigence d’une rupture radicale avec les
formes de théâtre classiques. La tragédie est considérée comme immorale, car,
par exemple, elle montre des héros passifs devant le destin. Le genre tragique
noble ne convient plus au public des Lumières. Il y a une rupture également
avec la comédie (immorale, car elle met en scène la fourberie, le mensonge, et
elle ridiculise l’homme du peuple, c’est-à-dire le bourgeois).
Avec Diderot, l’homme du peuple, le bourgeois,
monte sur scène (Le Père de famille).
En outre, le drame — selon Diderot — doit avoir
des vertus pédagogiques. Le public doit s’y reconnaître. Il doit montrer des
hommes d’aujourd’hui, vertueux. Le théâtre doit enseigner morale et vertu. Le
vers est condamné (car c’est le langage de la tragédie ; de plus, les
comédiens doivent s’exprimer comme les spectateurs). Diderot est aussi
l’inventeur du « happy end » : la pièce doit obligatoirement se
terminer sur un épisode heureux, après un épisode de troubles.
Tous les auteurs vont reprendre les théories de
Diderot (Nivelle de la Chaussée et la comédie larmoyante).
Mais ce que Diderot écrit, il ne le publie pas (Le Neveu de Rameau, La Religieuse, Les Bijoux
indiscrets...).
III - DIDEROT PHILOSOPHE, LE PENSEUR DU MATÉRIALISME
Diderot n’a jamais eu le temps ni le goût de
développer un système cohérent. Il y a tout de même un fil conducteur dans sa
pensée, et ce fil, c’est les questions qu’il se pose sur la matière, le
matérialisme et l’athéisme.
Le matérialisme de Diderot a été appelé le
« matérialisme athée » (paradoxal, car pour les autres Philosophes,
c’est le spectacle de la nature qui empêche de tomber dans l’athéisme). Diderot
ne voit pas d’intelligence créatrice, il ne voit que la physique, la biologie,
l’anatomie.
En 1745, il rompt avec le déisme, et écrit un Essai sur le mérite et la vertu. Il
explique le sentiment du divin par le spectacle de la nature, mais il va
montrer qu’on peut se passer de toute transcendance, et que cette absence de
Dieu n’empêche pas d’être vertueux.
Il se proclame matérialiste, et à partir de 1749
(La Lettre sur les aveugles), il va
affirmer son idée-maîtresse qu’il n’y a dans l’univers que de la matière (la
pensée elle-même est matière).
Il y a au XVIII° siècle un regain d’intérêt pour
les philosophes antiques, et notamment pour Lucrèce et Démocrite, avec deux
théories sur les atomes :
Lucrèce et le clinamen :
![]() |
Démocrite :
![]() |
Diderot suit l’intuition selon laquelle des
atomes se rencontrent, et créent tout le monde de cette manière. On ne fait pas
appel au « Dieu horloger » pour expliquer la création de l’univers en
redécouvrant le dynamisme de la nature (la Genèse est évacuée).
Il y a une opposition entre les matérialistes
(qui croient que c’est le hasard qui préside à la création des mondes) et ceux
qui sont contre (comment se fait-il que des êtres aussi complexes que les
hommes soient apparus ? Ce ne peut être le fruit du hasard).
Diderot développe la théorie des monstres :
tout ce qui est créé par la pluie d’atomes ne peut être parfait. Dans
l’univers, n’ont eu la chance de survivre que ceux qui par hasard sont nés
parfaits. Nos ancêtres ont pu être des monstres ! (aspect sérieux :
c’est la théorie de l’évolutionnisme !).
Pour Diderot, la matière n’est que mouvement,
elle est en devenir incessant (Buffon s’en inspirera).
Nous sommes, selon Diderot, une matière douée de
sensibilité (cf. sensualisme). Diderot ne nie pas l’instinct de jouissance mais
pose la vertu (cf. Le Neveu de Rameau).
La pensée politique de Diderot est moins
développée. Pour lui, il y a l’homme sensible fait pour vivre en société (qui
est le meilleur état, même si elle crée des inégalités). Contrairement à
Rousseau, il y a une foi dans le progrès.
L’homme civil, chez Diderot, est doué de morale,
et il n’est pas dénaturé comme chez Rousseau : il a conservé des qualités
(comme l’énergie, qui fait aller de l’avant, la sensibilité, ou encore la
sociabilité). L’homme de génie, c’est celui qui va savoir utiliser l’énergie en
lui, et qui va la mettre au service de sa sociabilité. Mais en face des génies,
il y a des « monstres » (ce qui reste de notre état de Nature et qui
ne serait pas policé).
Il faut donc un gouvernement. Il souhaite une
monarchie tempérée, mais il va bien moins loin que les autres Philosophes.
Diderot est gêné par la politique, il est foncièrement individualiste, et il ne
met pas son penchant anarchiste au service de la révolution.
IV - LE SUPPLÉMENT
AU VOYAGE DE BOUGAINVILLE
Il est publié en 1772. Le XVIII° siècle est un
siècle de voyageurs scientifiques. On découvre Tahiti. Le mythe des sauvages
heureux resurgit (après Montaigne et ses cannibales). Diderot s’en sert pour
une réflexion politique. Il est un des premiers à se demander ce que sera dans
le futur le résultat de la colonisation.
Il réfléchit aussi sur la liberté sexuelle des
tahitiens, qui le frappe, et il va en devenir le porte-parole (avec deux
tabous : l’inceste et la zoophilie).
V - LES ROMANS DE DIDEROT
Cf. Jacques Chouillet, L’Esthétique de Diderot.
Il y a une esthétique de la rupture, du
mouvement, de la forme brisée (cf. la structure de Jacques le fataliste).
Il y a une morale, même dans les romans libertins
comme Les Bijoux indiscrets. Avec
également un aspect ludique, sous un substrat philosophique (mais moins que
chez Montesquieu).
Il y a aussi une rupture totale avec l’esthétique
classique ; cela donne des romans dans lesquels Diderot se pose un certain
nombre de problèmes narratologiques (réflexions sur la forme du récit). Ainsi,
dans Jacques le fataliste, Diderot se
demande comment fonctionne un récit.
1) Le Neveu de Rameau.
C’est un dialogue entre lui et moi (mais aussi un
dialogue entre Diderot et lui-même). Le dialogue est une forme très prisée au
XVIII° siècle, car il donne l’impression de rentrer dans l’intimité des gens.
Il fait le point sur deux aspects contradictoires :
— le Philosophe raisonnable (un être vertueux, bon sociable).
— le neveu lui-même, un parasite, anarchiste, dénué de morale, qui ne
songe qu’à sa propre liberté.
Il y a également une réflexion sur la musique,
importante.
Le Neveu
de Rameau est un ouvrage complet
(quoique sans conclusion), plus accessible pour comprendre Diderot que les
œuvres philosophiques.
2) Jacques le fataliste.
On est encore dans une esthétique de la forme
brisée. Jacques raconte des histoires à son maître. Ce roman comporte une
destruction systématique de l’intrigue principale, par une multiplication
d’intrigues qui n’aboutissent pas, et par le dialogue (aspect très moderne, qui
annonce le « nouveau roman »). Il y a une mise en question du récit,
une recherche de renouvellement du roman.
L’idéal des Lumières ne va pas mourir, mais il va
au contraire se perpétuer. Stendhal fait encore partie des Lumières ! Mais
il y a une réaction contre le rationalisme des Lumières ; la raison ne
sera plus au premier plan comme elle l’était auparavant (mais il reste quelque
chose de l’idéal des Lumières de nos jours).
En 1761, avec la parution de l’Émile (et son livre IV, « La
Profession de foi du vicaire savoyard »), on a le retour à une certaine
forme de spiritualité (Rousseau réagit contre le matérialisme qui progresse au
XVIII° siècle).
En 1802 paraît le Génie du christianisme. On a le passage de la sociabilité des Lumières
à un individualisme de plus en plus marqué, qui va donner une attitude
d’esprit, « l’illuminisme » (les anti-lumières), contrairement aux
idéologues (qui vont perpétuer les idéaux des Lumières dans la première moitié
du XIX° siècle).
Avec l’illuminisme, on a le retour à une
spiritualité douteuse (sectes avec membres refusant les dogmes, les religions
révélées, et ils ont une explication purement rationnelle du monde).
Il y a des gens sérieux, mais aussi des
charlatans (le comte de Saint-Germain, qui prétend vivre depuis 100 000 ans et
qui est reçu à la cour de France ; ou bien Cagliostro, qui se dit le
meilleur guérisseur d’Europe et qui finit en prison à Venise, condamné par
l’inquisition...). Ce sont des personnages qui fascinent, car il y a une idée centrale :
il n’y a pas de cloison entre le monde matériel et le surnaturel.
Il existe des individus plus sérieux, comme
Mesmer, un scientifique qui est à la frontière entre les charlatans et les
illuminés de bonne foi. (il a découvert l’hypnose) ; ou Swedenborg et sa
représentation de l’univers par laquelle tous les êtres humains sont en
constante communication avec d’autres êtres (il aura une influence sur le romantisme).
Il y a aussi Cazotte (1719-1792), l’auteur du Diable amoureux, considéré comme le premier
roman fantastique français (une histoire d’amour entre Alvare et l’étrange
Biondetta, qui serait peut-être Satan). C’est un ennemi des Lumières, de la
révolution aussi. Il revient à une explication théologique de l’histoire (la
Révolution serait le retour de Satan dans l’histoire). Il fut emprisonné et
décapité.
La fin des Lumières est aussi marquée par
l’influence du roman noir anglais avec Ann Radcliff et Lewis (Le Moine).
BIBLIOGRAPHIE
1
INTRODUCTION
1
La conception du philosophe au XVIII° siècle 1
L’idée de nature 2
Le rapport nature / morale 2
Relation nature / société
3
Relation nature / politique 3
Conclusion ........................................................................ 4
MONTESQUIEU
5
Sa vie .................................................................................. 5
Considérations sur les causes de la
grandeur
des romains et de leur décadence
6
L’Esprit
des lois 6
VOLTAIRE
...................................................................... 9
Bibliographie ..................................................................... 10
Introduction ...................................................................... 10
Sa vie .................................................................................. 10
Son œuvre .......................................................................... 12
Les contes 12
Candide 12
L’Ingénu 13
Le Dictionnaire philosophique 13
Sa forme 13
Les thèmes 13
LE
ROMAN AU XVIII° SIÈCLE 15
Bibliographie ..................................................................... 15
LE
THÉÂTRE AU XVIII° SIÈCLE 16
Marivaux ........................................................................... 16
Le Jeu de l’Amour et du Hasard
16
Beaumarchais .................................................................. 17
ROUSSEAU
...................................................................... 18
Bibliographie ..................................................................... 18
Sa vie .................................................................................. 18
L’unité de la pensée de Rousseau 19
Le Contrat
social 20
L’Émile,
traité d’éducation 20
Les autobiographies 21
Les Confessions 21
Les rêveries du promeneur solitaire 22
La
Nouvelle Héloïse
22
DIDEROT
......................................................................... 23
Bibliographie ..................................................................... 23
L’homme de l’Encyclopédie
23
Un théoricien du théâtre 23
Diderot philosophe, le penseur du matérialisme 23
Le Supplément
au voyage de Bougainville
24
Les romans de Diderot 24
Le Neveu de Rameau 24
Jacques le fataliste
24
LA FIN DU XVIII° SIÈCLE :
LES
ANTI-LUMIÈRES 25
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